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kwakizbak #52
— Sans crier gare, une première image nous traverse et nous dévie de notre course, de notre affairement. Sans les avoir convoqués, défilent alors d’autres instants vécus, anciens, oubliés, un geste sans gravité, quelqu’un à qui nous n’avions plus pensé depuis des années, une phrase dont on comprend soudain le sens. Une image en chasse une autre et si nous n’arrêtons pas immédiatement ce manège et ne faisons pas le ménage, ce film expérimental pourrait s’éterniser, parfois jusqu’au vertige. Chaque séquence ne dure jamais longtemps pourtant, souvent un quart de seconde, et rares sont celles qui sont reliées entre elles. En général nous ne prenons pas le temps de les retenir parce que nous avons d’autres chats à fouetter. Parfois, au contraire, nous réalisons que nous aimons ce diaporama bizarre qui se déroule sans cohérence temporelle, sans lien ni sujet particulier. Mais la plupart de temps nous préférons la fuite en avant.
— Cause toujours tu m’intéresses...
— Mais nous vieillissons et tout s’empile – comme tous ces journaux, ces URL et ces fichiers que nous ne parvenons pas à balancer, que nous gardons dans un coin du salon ou de l’ordinateur au cas où nous voudrions lire tel article ou bien reprendre cet entretien que nous n’avons jamais pris le temps de terminer –, des bouts de notre vie repassent – on dirait la bande-annonce d’un film sans queue ni tête –, des visages reviennent, des phrases qu’on a prononcées, qu’on nous a dites, des moments agréables, des regrets et nos morts.
— Va te faire soigner !
Kwakizbak sort de la pièce et court enfiler son armure, le bonnet de marin tricoté par Shelle, ses bagouses et ses bottes pourpre, rose et jaunes.
— Où vas-tu ?
— Au boulot, à la maraude, au café, à la chasse à la belette, aux bords des mondes, à la claire fontaine, au ciné, à la montagne. Je vais jouer aux fléchettes, je vais débrancher les centrales nucléaires, je vais licencier les plumitifs orduriers, je vais scier les talonnettes du futur-ex Président, je vais maquiller ton écran, je vais repeindre ton sous-sol, je vais là où tu ne me saouleras plus avec tes histoires tristes.
écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne
et dernière modification le lundi 31 mai 2010