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sans K#1
Kwakizbak a disparu. Pas la première fois je sais bien. Mais aujourd’hui je suis inquiet.
– Je reviendrai, m’a-t-il dit cette nuit au détour d’un rêve.
–Dans quel état ?
Pfft, il avait déjà filé.
J’aurais pourtant dû m’habituer à ses incompréhensibles et intempestifs allers et retours, à ses poussées de croissance subites, à ses régressions tout aussi soudaines ; j’aurais dû le prévenir que nous n’avons pas tous la même pointure à la naissance ; j’aurais dû lui dire que je ne serais pas toujours là pour le palisser, le praliner, le bassiner, le butter, le pailler, drainer ses glandes lacrymales, le recéper, sarcler ses mauvaises humeurs, supporter ses hypocoristiques et interchangeables conquêtes, nettoyer les reliefs de leurs désirs d’effraction. Que je suis mortel, moi.
Au lieu de ça j’ai découpé les fiches bricolages dans les magazines, j’ai acheté l’amitié d’un peintre en bâtiment ainsi que d’un chauffagiste ; j’ai fait la cuisine à des tas de gens pour qu’ils m’aident à refaire mon appartement mais aussi celui de mes voisins du dessous qu’il avait transformé en aquarium ainsi que celui de mes voisins de palier suite à l’explosion de la cuisinière à gaz ; j’ai transformé ma chambre à coucher en atelier ; j’ai échangé mes encyclopédies contre des pinceaux, des râpes, un chasse clou, des pinces à bec et toutes sortes d’enduits ; j’ai placé des crapaudines dans les chéneaux parce que les préservatifs avaient fini par obstruer le tuyau de descente ; j’ai troqué mon canotier contre une casquette publicitaire. Et je n’ai jamais loué sa chambre.
J’ai continué à laver ses draps et à les asperger d’extraits de lavande parce qu’il trouvait ça sexy ; j’ai ramassé les punaises sur la moquette et les ai remises au mur pour que les posters puissent toujours l’accueillir dignement ; j’ai rompu avec toutes les femmes qu’il aurait pu aimer ; j’ai demandé aux enfants du quartier de ne jamais débarquer à l’improviste ; j’ai dit aux flics, au fisc, aux Farcs ainsi qu’aux forces obscures que je ne savais pas où il était passé, que je n’avais pas de ses nouvelles, qu’il était peut-être mort.
(se fier au rêve de cette nuit et ne rien dire de plus à ce sujet)
écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne
et dernière modification le lundi 23 janvier 2012