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kwakizbak #39
Longtemps, l’ombre de Kwakizbak a marché dans la brume en tentant de creuser des sillons dans la boue d’un hiver trop long. Pour savoir ce qui se cachait dessous. Ongles cassés, doigts râpés.
Longtemps, l’ombre de Kwakizbak a dormi sur la terre craquelée et s’est couchée de bonne heure, emmitouflée dans son manteau de brume, pour oublier qu’elle ne mangerait pas. Qui dort dîne, entendait-on. C’était une voix, dans le lointain.
Qui dort dîne…
Dort…
Dîne…
– C’est à mon ombre qu’on parle ainsi, s’est-il demandé ?
Longtemps, l’ombre de Kwakizbak a refusé de dormir alors qu’il se plaignait de ne rien voir dans la nuit.
– On devrait dormir un peu, non ?
Hier soir, alors que son ombre ne voulait jamais s’arrêter (selon elle il fallait savoir profiter des rayons de lune pour vivre bien), elle a dit :
– OK on s’arrête là mais j’aimerais encore faire un tour si tu veux bien.
– Va mais sois là demain quand le soleil se lèvera, c’est tout ce que je te demande, tu sais comme je n’aime pas attendre.
Longtemps, ces deux-là se sont demandé ce qu’ils faisaient ensemble et comment ils allaient faire pour se supporter un jour de plus. Mais cette nuit ils ont trouvé un terrain d’entente dans un lieu quelconque, inconnu, neutre. Kwakizbak s’est endormi. Et longtemps. Sans rêve ni désir, sans être dérangé par sa vessie. Comme à son habitude l’ombre avait menti, boulotté toute la nuit et attendu le matin pour s’endormir. Et maintenant elle ronflait légèrement. Kwakizbak aussi mais de l’autre côté de la haie. Une main de plus s’est approchée d’eux. Elle n’a pas hésité une seule seconde, a cueilli l’ombre, l’a arrachée de son plant de pommes de terre avant de la brûler dans un petit pot rempli d’alcool à quatre-vingt-dix degrés. Kwakizbak dormait toujours.
écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne
et dernière modification le samedi 10 avril 2010