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Laurent Herrou | 21 octobre 2003
J’ai un peu de temps devant moi, vu que j’ai décidé d’aller au stock ce matin – à cinq minutes d’ici. Je ne quitterai la maison qu’à neuf heures moins cinq, il est 8:15.
AOL m’annonce que j’ai du courrier : je vais voir.
8:20.
AOL a planté tandis que je poursuivais (mal) l’écriture du journal. Mais cette fois-ci (deux fois depuis hier soir) AOL a carrément planté mon ordinateur, de sorte que j’ai en plus perdu les mots écrits – qui n’avaient pas grande importance. Je tentais de dire que je menais de front deux activités, internet et le journal. Manifestement, cela ne plaît pas à l’iMac. Je suis très emmerdé par ces problèmes qui adviennent quotidiennement. Très, très emmerdé. Tout est fait pour que je me détourne petit à petit du poste de travail. Ou d’internet, c’est selon.
Je ne suis pas de mauvaise humeur.
Les mots perdus n’avaient pas d’importance, ils suivaient platement mon avancée sur le net : il n’y avait pas de courrier, que des pubs, et sur le site des éditions H&O, aucun changement dans l’annonce. Je n’ai pas de nouvelles d’Henri mais je n’en parle pas ici parce que Jean-Pierre me rassure tous les jours : il dit qu’il n’y a pas à s’inquiéter, que quand le livre sera sorti de l’imprimerie, Henri m’appellera. Que d’ici là, il ne faut pas y penser. Je ne les harcèle donc pas.
8:22.
J’ai reçu le livre de Pierre Denan hier. Une carte postale de ma marraine. Nez pris, impression d’allergie qui traîne – cela par contre me met de mauvaise humeur. Le nez qui coule, les reniflements. Et les fautes de frappe, éblouissements par l’écran, qui m’obligent à revenir en arrière sur l’écriture à chaque phrase. Vérifier. Me vérifier.
Je n’ai pas aimé non plus les mots écrits hier soir, l’expression : « les femmes de ma vie ». J’y ai beaucoup pensé, ai cherché une alternative. N’ai pas trouvé.
La femme dans mes vies.
Les femmes et ma vie.
Ma vie de femmes.
Non, je ne trouve pas. Reste que Nina Myers succède à Storm et à Ellen Ripley. Cela est vrai – même si, face au film hier soir, cela ne l’était pas, ou plus. Je ne suis pas successivement Storm, Ripley et Myers. Je ne suis personne – et je me fatigue à écrire encore une fois des phrases pareilles.
Être.
Je ne suis pas elles.
Et.
Il y a des choses que je ne sais pas dire, des phrases que je ne maîtrise pas. J’en fais l’expérience avec ce truc dans ma tête que j’ai fini par évacuer, qui n’a aucun intérêt, mais que je ne parviens pas à raconter – un morceau du film, vous ne perdez rien. Je ne perds rien. Sauf une chose : la capacité à dire. Jean-Pierre m’a raconté que les enfants de sa classe avaient drôlement bien fonctionné au texte sur Halloween que j’ai pondu dimanche. Qu’une de ses collègues avait elle aussi trouvé le texte extra. J’aime que mon écriture arrive à ses fins.
Le nez – c’est à tuer…
Je suis finalement de très, très mauvaise humeur. Cela ne devrait plus se produire.
Rien de plus ce soir : il n’y a pas eu d’appel, pas de courrier à mon intention dans la boîte (les Inrocks, un carton du FRAC Dijon), des mails publicitaires. On est à la maison, Jean-Pierre et moi, on attend l’heure de partir au ciné, manger une socca avant, retrouver Georges et Françoise. On attend : Jean-Pierre a mal à la tête, il est devant la télé. Il zappe. Il est en vacances.
Je crie : eh ! Tu es en vacances…
Il dit : ben oui !
Moi : bonnes vacances !
Il me remercie. On va aller au ciné, puis revenir dormir, puis demain matin, un café face à la poste, un colissimo qui m’attend, les DVD commandés dimanche dernier. Ensuite le travail à nouveau, pour une journée d’horreur (mercredi) qui se terminera dieu merci tôt, dix-sept heures, et je serai à mon tour en vacances jusqu’à mardi prochain. Diane m’a demandé ce qui n’allait pas, pourquoi je soufflais, je lui ai répondu que je partais en vacances conscient qu’au retour ce serait le bordel à nouveau, et que j’en avais marre de ne pas gérer mes stocks, les quantités et le boulot. Je ne l’ai pas dit comme ça, à me relire on pourrait penser que j’ai des difficultés avec le rayon – et peut-être que c’est cela qui me mine, les difficultés que j’ai avec le rayon dont je fais porter le poids à la structure Fnac (qui n’est cette fois peut-être pas en cause). Peut-être que je fais du mauvais travail. Mes ventes quotidiennes sont doublées, mais sans doute pourraient-elles être triplées, voire quadruplées. Je fais du mauvais travail – au fond : ça ne m’intéresse pas (ou pas assez).
Ou : je ne comprends pas le travail. C’est comme un puits sans fond, ou vous savez, le tonneau des Danaïdes, Sisyphe à nouveau, la mythologie me rattrape. Cette sensation d’effectuer un travail inutile, qu’il faut refaire chaque jour. Diane a remarqué que c’était un peu comme dans ce film avec Bill Murray, Le jour de la marmotte (c’était le titre anglais), où le héros se réveillait chaque matin pour revivre la même journée. Peut-être que j’en ai simplement marre de bosser à la Fnac.
En salle du pause il y avait une étudiante bruyante, prétentieuse, qui se plaignait du travail qu’elle effectuait depuis trois semaines : vanter les mérites de la carte adhérent aux clients de passage. Elle disait qu’elle était prête à faire : tout mais pas ce boulot-là. Qu’on l’obligeait à faire du chiffre, que c’était impossible. Qu’il fallait qu’elle dure jusqu’à la fin de la semaine. Je me suis levé, je lui ai lancé à la gueule qu’on était dans un pays libre, qu’elle n’était obligée à rien et qu’elle pouvait démissionner à tout moment. Je n’ai pas écouté ses objections, j’ai quitté la pièce.
Je crois que c’était à moi seul que je m’adressais.
_résidence Laurent Herrou | Avant | 21 octobre 2003
écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne
et dernière modification le jeudi 5 décembre 2013