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Laurent Herrou | 1er novembre 2003

Toux nerveuse, incessante.
La nuit, cinq heures du matin.
L’orage me réveille, et la pluie en tombée drue sur le carreau du vasistas de la chambre. Je me lève, avale deux cuillerées de miel, puis une aspirine qui, je le sais, ne me fera rien. Depuis Lyon la toux ne passe pas. Ni le rhume, une sorte d’angine qui traîne, sans fièvre. Je dis : tant qu’il n’y a pas de sang, je n’ai rien à craindre, je parle des crachats. Je vérifie cela dit. La toux est plus grasse, elle racle la gorge, arrache les muqueuses.
Je ne dors pas.
1er novembre, la Fnac ouvre ses portes à dix heures, je suis payé double. Sauf qu’hier, Anne a oublié de me donner mes tickets-resto, et la paye justement. En fin de mois, il y aura le treizième mois, mois double. En fin de mois nous serons juste un mois avant Noël, et la fin d’année. Les cadeaux. L’anniversaire de Jean-Pierre, notre 16 décembre. Huit ans.
La pluie se calme.
J’ai dit : je vais écrire. Jean-Pierre a demandé si j’avais pris mon sirop pour la toux, il m’a acheté du Vicks, ma mère m’a rappelé que mon grand-père lui interdisait le Vicks, sous prétexte qu’il y avait un composant dangereux, elle ne savait plus lequel, Jean-Pierre a hasardé : le camphre ? Oui, peut-être. Je prends du Vicks, ça ne calme pas la toux. La notice indique qu’en cas de persistance des symptômes après trois jours, il vaut mieux consulter. C’est la deuxième nuit, on attaque le troisième jour. De Vicks. Je n’y pense pas, je sais que la toux est nerveuse. Je suis nerveux.
Je suis nerveux.
Je pars à Béziers dimanche, en bagnole, seul. Je pars à Béziers, Henri avait envoyé un e-mail avant-hier, disant qu’IL était enfin arrivé, il écrivait : « Je viens de LE recevoir ! Il est très beau ! », on est tombé d’accord pour ce week-end, pour la signature du service de presse, il a dit au téléphone : n’en attendez pas forcément de grandes retombées, on fait peut-être cela pour rien, il parlait des signatures, j’ai répondu que cela me donnait l’occasion de les rencontrer, lui et Olivier ; la veille je m’étais branlé, allongé au lit auprès de Jean-Pierre qui dormait, en imaginant que nous faisions l’amour dans leur appartement, à Béziers, que je me déshabillais, queue dure, qu’ils poussaient la porte de ma chambre, Henri et Olivier, j’imaginais des sexes énormes, à l’image des dessins de Patrick Fillion, je caressais mon sexe dur d’un mouvement régulier, tournant autour du gland, enveloppant, rythme soutenu, cela avait pris une dizaine de minutes, je ne débandais pas, il fallait que je jouisse, j’avais tendu ma queue vers l’extérieur du lit et la couette avait absorbé le sperme qui s’était perdu hors de moi, sans que je le voie sortir, j’avais ressenti quelque chose de rare, cela s’approchait des sensations que j’avais enfant, quand je me caressais avec mon hippopotame en peluche, j’avais oublié, le frisson dans les reins, et l’éjaculation en plaisir aveuglant, l’absence de sperme – du moins sa non-existence, ma queue tendue droite devant moi, aucun contact avec l’éjection, je me sentais vidé, mais sain, non-pollué. Il avait fallu que je me lève pourtant, une demi-heure après, la toux était revenue, mais il n’y avait trace de rien, ni sur moi ni sur les draps, de sorte que la jouissance aurait pu avoir été fantasmée, elle aurait pu avoir été inventée, un rêve, je me sentais bien. Henri a écrit dans son e-mail que leur appartement était en travaux, qu’il faudrait envisager une chambre d’hôtel, il a dit : est-ce qu’un Etap’Hôtel vous conviendrait ? J’ai répondu que je n’étais pas trop chaîne, que je choisirais sur place. Je pars dimanche vers Béziers, en voiture, Jean-Pierre me prête la voiture, j’ai demandé s’il ne préférait pas, au fond, que je parte en train, s’il s’inquiétait pour sa voiture, il a répondu : je m’inquiète pour toi, la voiture, ce n’est que de la tôle… On était fâché, dans la voiture justement, ça n’avait rien à voir avec Béziers, mais avec ma propre voiture, que la fourrière venait d’emporter, il m’avait appelé à la Fnac, c’était hier après-midi, il avait fallu que je règle la fourrière en même temps que l’absence de Bernard sur le rayon et le travail par-dessus la tête. Finalement mon père m’avait demandé les clés, et les papiers de la Samba, il s’en occuperait samedi, c’est-à-dire aujourd’hui, plus tard, 1er novembre, je l’avais remercié, on avait pu Jean-Pierre et moi aller au cinéma comme nous le prévoyions, le nouveau Woody Allen, on avait enchaîné avec un plat de pâtes au Vinaino, j’avais beaucoup bu, j’ai beaucoup bu, Jean-Pierre a fait une allusion à la voiture tandis que l’on cherchait une place, au voyage à Béziers, c’est là qu’il a dit qu’il s’inquiétait plus pour moi que pour la tôle, ça allait mieux.
On n’a plus de téléphone, plus de connexion internet possible, cela fait quarante-huit heures à présent.
Au bout du fil, Jean-Pierre appelait du portable, il a dit : j’en ai ras-le-cul, ce qui voulait dire que vraiment, là, c’était le bouquet, ma voiture en plus après tous les problèmes que nous avaient causé les travaux dans l’immeuble cette semaine-là, semaine de ses vacances. Et encore : heureusement qu’il était en vacances, Jean-Pierre, qu’il avait pu parlementer avec les ouvriers, avec les gars de France-Télécom, avec les maîtres d’œuvre, heureusement que chaque jour il avait été à la maison – malgré cela, plus de téléphone, plus de télé pendant aussi quarante-huit heures, plus de lumières dans la cage d’escalier, et puis la porte d’en bas qui ne fermait plus, et j’en passe… On n’a plus de téléphone, le type doit venir demain matin vérifier la ligne, c’est possible qu’ils se soient plantés, les ouvriers, qu’ils aient coupé le mauvais fil, ce qui voudrait dire que nous sommes les seuls de l’immeuble à ne plus avoir de ligne téléphonique, et peut-être qu’il ne pourra pas venir demain, le gars du téléphone, parce que s’il pleut il ne pourra pas ouvrir la boîte sous haute tension qui permet d’accéder aux lignes téléphoniques, après il part à Paris, Jean-Pierre a dit : j’en ai ras-le-cul. Ensuite on est allé au ciné, et au Vinaino, on s’est endormi dans les bras l’un de l’autre, et je suis là, à cinq heures du matin, à raconter ma vie parce que ma toux m’empêche de dormir.
Il n’y a pas de sang, et les quintes se sont espacées depuis que je suis face à l’écran. Comme au cinéma : j’ai dû sortir pendant les premières minutes du film, à force de concentration pour ne pas tousser j’ai cru que j’allais m’arracher les poumons. Ensuite je n’y ai plus pensé.
Mon père a demandé à Jean-Pierre : ça fait quoi de vivre avec une célébrité ? Il faisait allusion à ma photo dans le programme de la Fnac – il n’a pas vu les affiches encore, dans le magasin. Jean-Pierre n’a pas répondu qu’il en avait ras-le-cul, mais sa réponse le sous-entendait pourtant.
5:35.

Je relis, je pondère, je corrige, Jean-Pierre s’est fait raser la tête, il est très beau en pseudo-militaire, la caresse est douce sur son crâne, il a dit au moment de s’endormir : tu veux… ? Mais j’avais trop bu, et on a ri, je me suis endormi rapidement, et je regrette peut-être, là, à presque six heures du matin, des envies toujours, en pagaille.


_résidence Laurent Herrou | Avant | 1er novembre 2003

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le jeudi 12 décembre 2013