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on n’est jamais absent (7)
La dernière fois que je t’ai vu, tu sortais d’un pavillon dont j’ai oublié le nom (Les magnolias, Les mimosas, quelque chose comme ça). Ta tête, tu ne la maîtrisais plus, elle penchait ; tes lèvres blanches et ta langue lourde, tu les remuais à peine mais le mouvement, on le voyait nous : on aurait dit que tu allais parler, que tu cherchais à dire quelque chose.
(ce n’était pas la dernière fois, ce n’était qu’une des nombreuses fois)
Aujourd’hui il me reste tes pas, les semelles de tes chaussures que tu fixais pendant des minutes non comptées tandis que nous comptions te faire manger, tandis que tu comptais sur notre hospitalité, tandis que ton compte serait bientôt bon – on l’ignorait alors.
(tu nous avais habitué à pire que ça)
Ce n’est pas toi que je cherchais, d’ailleurs je ne cherchais personne, même pas mon chemin, je rentrais chez moi et j’avais faim. Même si aujourd’hui encore c’est toi que je vois dans le regard perdu de quelques-uns croisés dans le métro, au cinéma, dans un champ ; même si c’est à ta barbichette et à ton sourire douloureux que je pense lorsque je fixe ce type qui n’a rien demandé ; même si tu es encore très souvent présent dans le jour et les rêves, sept ans après, non, au coin de ces deux rues, là non, ce n’était pas toi, pas cette fois, ce n’est pas à toi que j’ai pensé sur l’instant.
(à moins que l’inconscient ait déclenché ce geste)
Ce soir, en classant les photos récentes, j’ai compris que ce midi-là, il y a quelques jours, j’aurais préféré que cette rencontre ne fût pas la nôtre. J’aurais préféré penser à quelqu’un d’autre, à quelque souvenir moins lourd, à mes histoires d’enfant, à l’homme invisible. J’aurais préféré un autre visiteur, un autre face-à-face, un autre nez-à-nez, un autre reflet. J’aurais préféré ne pas, d’autres pas. J’aurais aimé une autre image. J’aurais préféré ne pas savoir que tu rôdais dans le quartier. J’aurais préféré prendre une autre route, ne pas être détourné, ne jamais connaître ce passage. J’aurais aimé te revoir vivant. J’aurais voulu te serrer dans mes bras. Je t’aurais montré mes chemins ordinaires. Tu aurais joué au dur, tu aurais ri un peu fort, tu aurais toujours quelques années de plus que moi et je me serais à nouveau inquiété.
_Photos : Montreuil, 27 novembre 2012
_Le projet de GRAINS D’INSTANTS est de remonter le temps en images à partir du 18 avril 2012 où j’ai posté mon premier instantané sur le réseau social Instagram, en reprenant ou en modifiant les légendes et, en suivant son évolution, de voir ce que peut créer ce décalage spatio-temporel. Pour en savoir plus sur cette rubrique, suivez ce lien. Parallèlement à ce projet je continue d’alimenter mon carnet d’instantanés sur Instagram où je poste désormais (sauf exceptions) une photo légendée par jour.
écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne le 27 novembre 2012
et dernière modification le samedi 22 février 2014