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Guillaume Vissac | kwakzibak


 
 
Comme un dingue te bénir, triste comme quand je lasse mes pompes. J’ai relevé les indices sur les murs de nos rues. Sur les trottoirs et sols et les plafonds de nos rêves. J’ai oublié ton nom. Souffre de dysorthographie ponctuelle. Moi t’épelle (sic) Kwakzibak. Je crois y a un problème quelque part. Et quand je tourne la tête, tout tourne avec cette mienne de tête. Je te parle comme je suis, Kwakzibak, en avançant, ombre(s) d’abord, semelles de mes Kickers sur le plafond de l’en-bas, pupilles rivées sur des indices de toi. Et quand je lis regarde le ciel, je m’exécute. Comme une balle dans la tête de ma tête, je m’exécute.

Un jour un type m’a dit (déjà mort mais mort sans le savoir ou bien feignant de l’ignorer ou bien se croyant supérieur à sa seule condition humaine ou bien que sais-je) : Kwakziquoi ? Alors comprendre que c’était pas le lieu (les balles fusaient), pas l’endroit (d’autres balles venues d’autres canons fusaient tout aussi mal ou bien que les premières), pas l’époque (d’autres mille tonnes de balles avaient prévu de fondre sur la nuque de ceux qui les faisaient jaillir, ces balles, prévues alors pour d’autres nuques que les leurs).

Je me suis retourné(e).

J’ai dit ciao les m

J’ai regardé le ciel.

J’étais là de retour, les yeux ouverts derrière d’autres pairs d’yeux fermés. Le tag disait (il dit toujours) : regarde le ciel.

Un jour, d’autres bras m’ont porté hors du marasme (lequel ? comment savoir ?) sous prétexte que les compteurs Geiger avaient dit stop. Stop, avaient dit les compteurs, dans leur langage à eux, plein de codes et d’embruns, pas question d’avancer plus en direction du centre, l’épi. Et j’ai dit oui mais si. Enfin : si c’est là qu’il était ? Est. Sera. Ces bras m’ont porté hors du marasme. Les yeux révulsés derrière mes autres pairs d’yeux morts, c’était difficile de comprendre, au juste, de quel décor il s’agissait. Vu que le bleu du ciel, à l’envers mes paupières, celui-là même dont on me dit (écrit !) regarde.

D’autres tags ont suivi. L’enfer est sur terre, disait l’autre. Par automatisme (par mimétisme (par conservatisme)) j’ai regardé idem.

Un jour, une pirogue. J’y suis monté pour traverser le fleuve. Les conquistadores, ci-contre (contre ce moi d’alors) ne savaient pas ce qu’ils cherchaient et moi j’ignorais tout de nos conditions respectives (humaines ou pas ou pire). Je leur ai dit Kwakzibak est là, quelque part, au-dessus ou en dessous ou avant nous, après, qui sait ; comme le marasme et puis le ciel, l’eau : quel bouillon !

J’ai jamais vu aucun avion frapper les tours, celles que tu sais, je regardais pas le bon, le bon ciel ou bon moment peut-être, à la bonne heure sûrement. Aucun vieux mot collé au sol ou au plafond ne m’a demandé de regarder dans cette direction là, cette année là, ce mois, cette heure. J’ai regardé le ciel, un autre.

Je sais pas si c’est ta main derrière la craie, la bombe, le feutre stabylo qui guide les miennes de mains quand je marche dessus. Je sais pas si tout ça. Je sais rien. Mon sol est un parcours fléché semé de failles et puis d’embûches et de vestiges de toi. Quand je vais sur les mains (sans voir le ciel alors) tout s’embrume car mes fringues me remontent par la tête et m’avalent.

Un jour, ils sont revenus, les uns après les autres, les satellites de télécommunication, de la défense et des observatoires extraterrestres, revenus sur terre qui appelait vers elle la tôle et les boulons pour mourir ici, avec nous, sous l’atmosphère rouillée. Lorsque les tonnes de métal en fusion ont dessiné dans le ciel des toiles, des fils, des lignes de fuite, s’apprêtant à tomber sur nos gueules fascinées, tu sais ce que j’ai fait, Kwakzibak ? Je me suis dit peut-être surfe-t-il sur l’un d’eux.

Un autre disait : je veut sic de l’amour. Le sic était écrit mais dans une autre langue, police, orthographe et couleur que la nôtre. Si j’avais pu mener une analyse graphologique de l’écriture du sic j’aurais trouvé ta marque, Kwakzibak, tes empreintes digitales et puis ton sang, ta sueur, ton ADN. Je l’ai pas fait. J’ai tout laissé sécher. Jusqu’à ce que l’encre, le ciment, la terre, tout s’évapore. J’y suis encore. J’attends que les derniers grammes de ce sic finisse de s’extirper d’eux-mêmes.

Et tu sais ce que j’ai fait, Kwakzibak ?

J’ai regardé le ciel.

Et tu sais quoi en fait ?

Ce moment n’est pas passé. Il est présent, il se répète.

Et tu sais quoi en fait ?

Je le regarde encore.

Encore.

Les satellites sont là.

Encore.

Ils sont là, ils dessinent.

Dans le ciel des images.

Des mots.

Ou un message de toi.

Avant que tout crépite.

Au sol.

Passé présent futur.

Hier demain jadis.

En cet immoment même.


Guillaume Vissac lit, écrit, critique, traduit chaque jour une phrase du grand Ulysse de Joyce, photographie, commente, twitte, traverse la ville et les corps, met en scène les accidents de personne, fuit ses peurs (pas toujours), rêve, a mal à la tête, erre dans des hôtels asseptisés, prend souvent le RER, parle avec justesse des logements qu’on quitte, de ceux qu’on visite, des êtres qu’on perd de vue, des retrouvailles, de David Bowie, de Rodrigo Fresán, de tout un tas d’autres choses encore sur son site Fuir est une pulsion et aujourd’hui de Kwakzibak (non, vous n’avez pas mal lu, il s’agit bien de Kwakzibak et non de Kwakizbak). Sa proposition ci-dessous, donc, sur fond de Cygnet Committee et la mienne, il n’y a pas de machine à remonter la ville-montre, chez lui. Merci Guillaume.

Ce texte de Guillaume Vissac a été écrit dans le cadre des vases communicants. Sans Brigitte Célérier nous aurions été paumés ; grand merci aussi à elle d’avoir tenu à jour la liste des 20 échanges du mois que vous retrouverez ici ou .

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le vendredi 6 avril 2012