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Michel Brosseau | le livre événement !

Anita Bardelaine-Simonni, La constitution de la station météo

 
C’était il y a un peu plus d’un an. Les hasards de l’insomnie m’avaient scotché devant ma télé, zappant d’une chaîne à l’autre. Jusqu’à cette chaîne d’infos en continu, et ce nom qui se mit soudain à résonner dans le silence de la nuit. ABS, comme nous autres journalistes avions pris l’habitude de l’appeler, venait de trouver la mort dans un stupide accident de voiture du côté de l’Alma. Et avec elle s’éteignait une grande dame de la littérature d’aujourd’hui. Heureusement, après ces longs mois d’un silence que l’on croyait définitif, parvient de nouveau jusqu’à nous sa voix si caractéristique.

La constitution de la station météo n’a pu voir le jour que grâce au travail minutieux et passionné de Charles-Henri Bruguière, des éditions Irrégulières. Difficile de résumer ces 200 pages d’une rare intensité où l’on trouve rassemblés des textes de longueurs et de formes très divers, écrits sur une période qui s’étend sur près de trente années. Ces douze courts récits sont autant de pépites qu’il aurait été fort dommage de voir condamnés à l’oubli, tant est grande la puissance romanesque qui s’en dégage. À tel point qu’une fois tournée la dernière page, on se prend à rêver qu’Anita-Bardelaine Simonni ait disposé du temps nécessaire pour donner à ces joyaux narratifs le développement et l’ampleur qu’ils mériteraient.

On retrouve ici tous les thèmes de prédilection de la romancière : quête d’un amour impossible, comme dans La tasse fêlée où la narratrice, ancienne égérie de la chanson, fait le bilan amer de sa vie sentimentale, un champ de bataille où le pire ennemi n’est pas toujours celui d’en face, mais bien plutôt cette ombre qui pas à pas vous poursuit  ; voyages qui sont autant de fuites toujours un peu plus désespérées pour la femme d’affaires Du haut de l’alpage et la championne internationale de tennis de Manhattan blues et qui, toutes deux, semblent condamnées à une errance tragique ; et, pour couronner le tout, toujours ce regard désabusé sur une bourgeoisie trop engoncée dans ses principes pour enfin se délivrer de tout son mal de vivre. Ainsi, dans Double impact pour une femme seule, Maude, venue à New York sur un coup de tête pour retrouver un amour de jeunesse, broie-t-elle du noir enfermée dans sa chambre d’hôtel, seule face au silence du miroir ; quant à Sylvia, l’héroïne de Chapeaux bas et hauts talons, elle réalise, mais un peu tard, que la vie pouvait être autre chose qu’un problème de baignoire qui fuit ou de trains qui toujours se croisent sans jamais parvenir à se rejoindre.

On l’aura compris, Anita Bardelaine-Simonni met une dernière fois en scène ces femmes brillantes et sexy auxquelles elle nous a habitués, non sans reprendre quelques épisodes de sa vie qui ont parfois défrayé la chronique. Mais, comme elle le confiait dans l’interview qu’elle avait eu la gentillesse de nous accorder au début de l’année dernière, c’est l’alchimie de l’écriture qui permet d’écrire une histoire et d’aller au-delà de la simple retranscription autobiographique. N’en déplaise à certains, nulle trace de complaisance dans ces fictions qui, bien qu’empreintes de l’expérience parfois sulfureuses de la romancière, sont autant d’invitations au voyage à l’abri des cacophonies du temps.

La constitution de la station météo, qui donne son titre à l’ouvrage, est aussi le plus long des récits qui le composent. Énigmatiques, et même au premier abord déroutantes, ces cinquante-trois pages semblent a priori constituer une rupture avec les romans qui ont fait le succès d’Anita Bardelaine-Simonni. Celle-ci nous entraîne en effet, et non sans malice, très loin du luxe des grands hôtels internationaux : Amanda, météorologiste spécialisée dans le réchauffement climatique, se trouve nommée à la tête d’une mission scientifique internationale, avec pour objectif l’observation de la fonte des glaces de l’Arctique. Débute alors un huis clos passionnant où la jeune femme, seule face à quatre hommes – un Américain, un Anglais, un Français et un Russe – vérifie rapidement que non seulement l’homme est un loup pour l’homme, mais il admet difficilement qu’une femelle soit à la tête de la horde. Cette fable morale et philosophique, qui s’inscrit dans la longue tradition de l’utopie, donne en quelque sorte un éclairage rétrospectif à l’ensemble de l’œuvre. Celle-ci prend désormais non seulement tout son sens, mais aussi toute sa force : au-delà du strass et des paillettes tant reprochés par certains, elle se révèle dans sa quintessence, celle d’une épopée moderne où, la romancière, spectatrice lucide de ses contemporains, nous livre avec raffinement et élégance un questionnement sans cesse renouvelé sur la place de la femme dans nos sociétés.

Espérons qu’après la lecture de La constitution de la station météo, nos ayatollahs de la littérature, qui ont tant décrié la soi-disant légèreté d’Anita Bardelaine-Simonni, auront l’honnêteté intellectuelle de réviser leur jugement, et d’enfin reconnaître la place de choix qu’occupe la romancière dans le paysage littéraire français.

À signaler, la réédition en poche de La discipline des cailloux.


Ça a commencé comme ça. D’abord quelques twitts pour proposer l’échange, trouver un créneau de libre et décider d’une ligne directrice commune. Ensuite, un échange de mails pour mettre au point. « Donc, bref, pour faire court, me disais hier qu’on pourrait échanger autour de la rentrée fictive de janvier. » Référence à une série de textes parus sur le convoi des glossolales, blog collectif initié par Anthony Poiraudeau, où il s’agissait d’écrire la critique de romans imaginaires… « On se propose chacun un titre et un nom d’auteur comme 1re contrainte. Il en faudrait une autre au moins pour que l’exercice soit plus ″stylé″. » Réponse : « Nous pourrions nous donner comme autre contrainte que l’ouvrage qui fait l’objet du compte-rendu de lecture soit un de ces fonds de tiroir qui font parfois l’objet d’une réédition posthume (…). Pour ce qui est du titre du bouquin, il est possible d’utiliser le générateur de titres et de couvertures d’Omer Pesquer. » Et à la fin du dernier mail : « PS : faudrait voir aussi pour mettre un petit mot introductif commun sur notre principe (genre énoncé Oulipo ; ça vous va ?). »

Ce texte est donc de Michel Brosseau ; il a été écrit dans le cadre des vases communicants, ensemble polyphonique initié par Tiers Livre et Scriptopolis. Le principe : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre. Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. Ce beau programme a démarré le 3 juillet 2009 entre les deux sites cités supra ainsi qu’entre Liminaire et Fenêtres Open Space. Pour découvrir ma proposition chez mon binôme, suivez la →.
Sans Brigitte Célérier nous serions paumés grand merci à elle d’avoir tenu à jour la liste des 21 autres échanges du mois

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le vendredi 7 janvier 2011