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Laurent Herrou | 1er septembre 2003

Bruno a déménagé ce week-end, nous n’avons plus de voisin. Il nous a annoncé son départ à notre retour de Paris, je savais que Nice ne lui plaisait pas mais je ne m’attendais pas à un déménagement aussi rapide. Il ne nous a pas dit au revoir comme nous ne l’avons pas aidé à déplacer ses meubles : c’était un voisinage sympathique, pas une amitié. Nous nous rendions des services (la boîte aux lettres pendant les vacances, les plantes du palier à arroser), nous avions confiance. Il va falloir recréer cela avec les nouveaux arrivants : j’ai dit à Jean-Pierre que je voulais bien d’une fille super jolie et intelligente, ou d’un homo sympa. J’ai peur de tomber sur un couple de sales cons intolérants, avec des gosses et un chien. J’ai peur des bruits, des hurlements. Avec Bruno, nous allions jusqu’à laisser la porte de l’appartement ouverte, alors que nous nous promenions nus à l’intérieur, pendant l’été caniculaire. Qu’en sera-t-il avec les prochains ?
Les autres.
C’est le titre d’un film, je pense à eux dans ces termes-là : les autres.
Bruno est venu boire un verre à la maison, il nous avait acheté une corbeille de fruits exotiques, je me suis demandé pourquoi un tel présent. Nous nous aimions bien, c’est vrai, et il nous avait rendu un fier service : il avait réparé les fauteuils du salon, en avait changé l’assise, les avait retapissés, cloutés. J’avais voulu le payer mais il ne voulait rien entendre. Il disait : entre voisins.
Ne croirait-on pas qu’il est mort ?
Je lui ai proposé de descendre des petites choses, avec le bras handicapé, je ne pouvais pas me permettre de l’aider à porter une machine, un frigidaire. Il a répondu : ne t’emmerde pas, je vais me débrouiller. Et : on a presque fini. “On”, Cécile, son amie, et lui. Son amie, sa copine, Cécile indéfinie, étrange. Jean-Pierre dit : on dirait qu’elle est bourrée en permanence, cela ne veut pas dire qu’on ne l’apprécie pas. Je réponds qu’elle fume, sans doute, Jean-Pierre dit : ah ? Je précise qu’elle “fume” sûrement, là il me comprend.
On va avoir un nouveau voisin, une nouvelle voisine, de nouveaux voisins. On pourrait louer l’appartement aussi, celui d’à côté, on aurait ainsi tout le palier pour nous, le dernier étage. On pourrait installer une barrière au niveau des marches et décorer la cage d’escalier à notre goût. On a mis les affiches que Steve nous a envoyées d’Angleterre, l’expo de Douglas Gordon, et une autre, d’une expo asiatique. Bruno les trouvait chouettes. Et il y a les plantes, sur le palier, et le nain de jardin au milieu. Un paradis. On va avoir un nouveau voisin, l’angoisse serait que cette personne-là, nouvelle, étrangère, ne se reconnaisse pas dans notre aménagement. Que l’agence nous oblige à faire disparaître toute trace de notre présence sur le palier. Jean-Pierre dit : on s’en fout, quand on est chez nous, porte fermée, on est chez nous. Oui. Avec Bruno, même porte ouverte, on était chez nous. Je crois que Jean-Pierre a les mêmes appréhensions que moi, mais qu’il ne se laisse pas aller à la panique. Il a raison, bien sûr.
Septembre.
Jean-Pierre est parti vers huit heures moins le quart, il a remarqué qu’il pleuvait, comme chaque rentrée depuis trois ans, j’ai répondu que c’était pour que les gamins soient confortés dans l’idée que c’était une journée sinistre. Il pleut, on attendait la pluie depuis des mois. Il pleut – mais ce ne sont que quelques gouttes, presque inutiles, qui ne rafraîchissent rien. Il y a eu un incendie sur les collines de Cagnes-sur-Mer hier, la fumée recouvrait Nice et des cendres tombaient sur notre balcon comme une pluie de flocons gris. Jean-Pierre est parti à l’école, la reprise. Je suis seul à la maison. Il a demandé ce que j’allais faire de ma journée, mais je n’ai pas su quoi répondre. J’ai essayé quand même.
La Poste – courrier à envoyer.
La piscine si le temps le permettait.
Le kiné à dix-sept heures.
Il a dit : on se retrouve en ville ? Je lui ai proposé de me laisser un message en revenant de l’école, qu’il s’arrête en ville s’il avait des courses à y faire, sinon qu’il rentre. Que l’on se retrouverait à la maison. Ce soir. Soirée.
Jean-Pierre, son premier jour de classe, j’ai demandé : ça va, tu n’es pas angoissé ? Il a éclaté de rire.


_résidence Laurent Herrou | Avant | 1er septembre 2003

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le mercredi 23 octobre 2013