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Laurent Herrou | Avant | 31 août 2003

En soulevant une mèche de cheveux, sur les tempes, outre les cheveux blancs abondants : des pellicules. Truc que je déteste, je vérifie les shampoings à la recherche de celui qui me conviendra mais le seul que l’on possède, antipelliculaire, est pour cheveux gras. Moi j’ai les cheveux secs, et des pellicules temporairement, je suppose que c’est une contradiction supplémentaire dans ma morphologie. Ça ne me démange pas non ; n’aurais-je pas soulevé cette mèche, par coquetterie d’ailleurs, je ne m’en serais pas aperçu. J’imagine que c’est le chlore de la piscine qui en est responsable – quoi d’autre ? Après Paris, la pollution niçoise ? La chaleur peut-être, la sécheresse. Je déteste cette idée qu’il puisse y avoir des pellicules blanches dans mes cheveux, même minuscules, même invisibles. Depuis quelques jours, je me suis remis à éternuer et la vision du soleil (je veux dire : le soleil dans les yeux) me provoque des démangeaisons dans les narines, me force à détourner le regard. L’été que je continue à haïr. Mais il y a du vent – qui remue la poussière sèche de la ville – et la température a un tout petit peu baissé. Je pense que l’on est sur la bonne pente.
Il me faudra un shampoing, au plus vite. Je m’étonne de ne pas être déjà sous la douche – mais j’avais décidé d’écrire, et c’est cela qui l’emporte.
Des pellicules ! Je rêve…
On a passé la soirée devant la Star Academy, on a passé la soirée devant TF1 à déplorer le discours tenu lors des reportages et l’argent des candidats en surabondance. J’ai compris que la grande différence entre M6 et TF1 se situait à ce niveau-là, celui du fric : quand M6 auditionne des gens de tous milieux, TF1 ne retient que des élèves friqués, qui sans l’émission s’en seraient néanmoins sortis dans la vie. Pierre clame qu’il ne comprend pas pourquoi les gars de son âge travaillent, alors que c’est tellement bon de ne rien faire et de courir la campagne au volant de son camion rouge aménagé. Morgane explique que c’est un peu dur de se lever tous les jours à huit heures pour aller faire de la gym avec son entraîneur particulier (qui la baise sans doute ensuite dans les douches, tant qu’à faire). Sofia vit à Casablanca dans un palais des mille et une nuits. Lorsqu’Icaro est né au Brésil, sa mère l’a envoyé chez son frère qui habite Lausanne pour qu’il ait une meilleure éducation : il l’appelle Papa maintenant. Untel a perdu son père, le frère d’une autre s’est suicidé à treize ans et demi – ils créent depuis pour que les morts soient fiers d’eux. TF1 illustre son propos par une phrase récurrente : mais à (tel âge), sa vie bascule. On ne sait pas trop ce que l’on regarde, mais on regarde. Et puis ils se mettent à chanter, à faire de la musique, à donner du leur. Et on oublie un peu, les défauts de la chaîne qui les emploie. Qui ne sont pas les leurs. Ils ont de l’argent, des moyens et une porte d’entrée, tant mieux pour eux ; ils ont du talent aussi, c’est indéniable. Je ne peux pas leur en vouloir. J’admire, je le reconnais, les élèves de la Star Academy, comme ceux qui ont le courage d’aller auditionner aux casting de M6 : il faut des couilles, et du talent. Qui peut leur enlever ça ?
Au milieu de la nouvelle promo il y a une nana que je connais sans être capable de remettre un nom sur elle, ni de savoir d’où je la connais : c’est Anne. Elle vit à Paris depuis cinq ans chez sa mère, après avoir vécu avec son père ; elle a fait HEC, je crois, et Sup de Co. Je connais son visage, ses expressions, la fille m’est familière, j’ai le sentiment de l’avoir côtoyée, mieux d’avoir été intime avec elle. Je la confonds soudain avec cette fille qui avait passé un mois à la Fnac de Nice comme renfort d’été, et à qui j’en voulais énormément parce que ce n’était qu’une glandeuse – Anne, je suis sûr du prénom. Mais celle-là était une conne, une chieuse, et Anne dans le petit écran apparaît comme une fille saine, heureuse de vivre, presque simple. Elle me séduit – qui est-elle ? D’où me revient-elle ?
Je m’accroche à son image, elle me donnera envie de suivre l’aventure jusqu’à ce que je sache enfin qui elle est – ou qui elle était avant.
On a passé la soirée sur TF1, un samedi soir, il y avait le concert de la promo précédente, Nolwenn et les autres, petit faible pour Anne-Laure, pêchue, vivante, douée. Je n’ai pas envie, non, de descendre ces émissions-là : ces élèves sont là pour bosser, pour apprendre, on peut s’indigner du jeu des chaînes, pas de l’investissement des candidats. On ne peut décemment pas leur reprocher ce qu’ils sont. On ne peut décemment pas les narguer, ou les critiquer parce qu’ils sont fabriqués par une chaîne de télévision.
On peut en vouloir à Arthur de placer son cousin dans Nice People – ou le petit-fils d’Edouard Grinda. Là oui. Là on peut vraiment péter les plombs. Ou la gueule de ces petits cons. Mais regardez-vous dans le miroir : regardez vos rêves, vos espoirs. Regardez vos désirs et ayez le courage qu’eux ont, d’aller jusqu’au bout, de tout essayer. Regardez-les, admirez-les parce qu’ils font ce que vous n’avez pas (ou pas eu) le courage de faire. Ou parce qu’ils ont, tout simplement, du talent.
Suis-je jaloux des jeunes auteurs ?
Suis-je jaloux des auteurs d’aujourd’hui, ceux qui publient plus que moi, gagnent plus que moi, écrivent plus que moi ?
Suis-je jaloux ?
Suis-je jaloux des autres ?
Si j’étais un chanteur, serais-je jaloux des gars de la Star Ac’ ?
Je suis un auteur, j’envoie des manuscrits qui sont refusés ou acceptés. Lorsque le fils de Sardou ou la nana de PPDA ne rencontre aucun problème pour publier, je ne suis pas jaloux, je suis horrifié. Lorsqu’il y a du talent derrière, je me plie à l’évidence. Il y a des facilités, il y a des portes d’entrée.
Poussez une porte.
Ou mieux : créez-vous en une.
Mais essayez au moins. Après on pourra parler.


_résidence Laurent Herrou | Avant | 31 août 2003

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le lundi 21 octobre 2013