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Laurent Herrou | Avant | 3 août 2003

La canicule prévue, attendue, la chaleur étouffante – un brin d’air pourtant, un léger souffle de temps en temps, plus frais que les autres jours. Jean-Pierre, nu, sur le lit ; moi je ne me déshabille pas, je n’ai, étrangement, pas encore trop chaud. Je veux tenir le coup, m’entêter. La sueur s’accumule sous les yeux, en gouttelettes piquantes, Jean-Pierre quitte la chambre : là-bas (il parle du salon) il fait meilleur. Je me doute donc qu’il fait chaud. Face à l’ordinateur, aux photos de Nathalie et de Nathanaël qu’elle m’a envoyées par e-mail, il n’y avait pas de problème. Mais là, la concentration nécessaire à la frappe à une main, et l’effort que cela me demande, sont en train de faire leur effet : lentement, doucement, je transpire. Pellicule sur le front, le derrière des cuisses, le dos sous le pull sans manches. Oui : je pousse le vice à mettre un pull, coton, sans manches certes, mais pull. Gris. Que je mouille aux aisselles. Mes poils sont à nouveau envahis d’une couche grasse, blanche, odorante. Il faudrait me raser – je ne le peux pas tout seul. Il faudrait pouvoir se savonner méticuleusement – mais cela aussi est encore impossible.
Une goutte le long de la tempe : ça commence.
Dimanche 3 août. Jean-Pierre prévoit deux jours à Turin pour se changer les idées, il a une adresse d’hôtel pas loin de la gare. Je me demande parfois si Robert souffre au fond d’un lit d’hôpital, s’il est mort, en convalescence, guéri. Je ne prends pas de nouvelles, je suis sans cœur. Turin, pour deux jours, puis Paris peut-être, monter en train, changer d’air en plus des idées. Jean-Pierre voudrait que l’on aille voir Détour mortel, un truc de jeunes perdus dans les bois aux prises avec des anthropophages dégénérés, il paraît que c’est horrible, j’avoue que, sans comprendre pourquoi, ça m’attire autant que lui. Sauf lorsqu’au milieu de la nuit je crois entendre un bruit suspect et qu’alors les images, entrevues rapidement pendant la bande-annonce, m’assaillent. Tu as déjà peur… remarque Jean-Pierre. J’ai dit oui, plus tôt. Mais c’est dimanche, on paierait plein pot. Jean-Pierre dit : demain. Le temps pour moi de changer à nouveau d’avis.
J’ai rendez-vous mardi, à quatorze heures, pour qu’ils enlèvent le plâtre. Je ne voulais pas vérifier l’heure trop tôt, je ne m’en souvenais plus, savoir maintenant que ce n’est que l’après-midi me fiche un coup au moral. Matin ou après-midi, c’est un peu pareil… dit Jean-Pierre. J’en ai assez du plâtre. En même temps, je ne suis pas prêt à reprendre le boulot. Pas envie. Pas du tout envie. Si je ne suis pas prolongé, j’imposerai mes vacances. D’été. Méritées. Je n’ai pas envie de reprendre, je n’ai pas envie, après avoir transpiré comme un con pendant deux semaines à la maison, de me remettre à puer au boulot pour mille euros par mois. Je veux des conditions décentes. Et à défaut des vacances à la mer.
Je veux nager sous l’eau. Profond.
Je veux me noyer, merveilleusement. Lèvres bleues. Grelotter.
J’ai écrit une scène supplémentaire de Chester et Paul hier après-midi, je bandais, il a fallu que me branle ensuite, que je jouisse, allongé sur le lit, pendant que Jean-Pierre travaillait ses films à la cuisine, et cela même si nous avions joui ensemble, un peu plus tôt, l’un sur l’autre. Je ne lui en ai rien dit.

23:40.
Encore une journée, une journée et demie à tenir. Avec le plâtre. Je me fais des promesses, je me dis : piscine tous les jours, et la mer. Et la gym. Je me mens, un art où je suis passé maître.
Encore une journée à tenir avec le plâtre. À travers le vasistas de la chambre, un souffle d’air frais, inattendu. Ils prévoient 34° demain, et 36° mardi. La journée la plus chaude – on ne croit pas que l’on puisse encaisser davantage. Mais si. Sans doute.
J’ai demandé à Jean-Pierre si on pouvait aller à Turin en hiver, plutôt. Il faut tenir avec le plâtre, et profiter, sans le plâtre. De l’eau.
Ne pas y penser.
J’espère qu’il y aura du courrier dans la boîte demain. Des appels. Des e-mails intéressants, quelque chose à faire, à quoi m’occuper l’esprit. J’espère que la journée passera vite, lundi 4 août.
Tenir jusqu’à mardi.
Essayer de ne pas penser aux dates, aux heures qui restent.
Dormir.


_résidence Laurent Herrou | Avant | 3 août 2003

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le samedi 28 septembre 2013