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Laurent Herrou | Avant | 18 juillet 2003

7:20.
Levé tôt, parce qu’il faut aller aux Urgences à nouveau. L’hôpital de Bourges a appelé hier, demandant que je les rappelle à mon tour à propos du contrôle des radiographies faites la semaine dernière, la fille que j’ai eue au bout du fil et qui ne parvenait pas à joindre le médecin qui m’avait laissé le message a demandé si je pouvais repasser. J’ai ri, j’ai dit : j’habite à Nice. Elle a repris mon numéro de portable et le médecin m’a rappelé dix minutes plus tard. Il y avait un doute. Risque de fissure de la tête radiale. Dans tous les cas, vous ne devriez pas avoir repris le boulot, disait le médecin. Une tête radiale, c’est trois semaines d’immobilisation du coude. Il a dit qu’il fallait ne pas attendre la réception postale des premières radios, qu’il fallait en faire d’autres. Au plus vite. J’ai appelé Joe, qui m’a conseillé de retourner aux urgences. Saint-Roch. De raconter mon histoire. Elle a dit : il y en a pour dix jours… Puis elle a rappelé, elle avait eu Florent, le mari de Valérie, qui lui avait répété la phrase du médecin de Bourges, à propos du délai de trois semaines. Elle a dit : pour les bonnes nouvelles. Elle a ajouté ensuite qu’elle, c’était une fille. Le bébé. Je l’ai félicitée. Elle a dit : Gérard a dit de te raconter que lui, il s’était cassé les deux têtes radiales en même temps, en moto. Pour te remonter le moral. Je n’ai pas répondu que mon moral n’était pas bas, que la perspective d’être arrêté trois semaines au contraire m’enchantait. Correspondait à mon état d’esprit.
Plus tard, j’ai pensé aux complications d’un plâtre. Comment manger, comment dormir, comment me laver, me baigner. Et : la chaleur, les démangeaisons. Jean-Pierre a dit : fallait pas faire le con à Villequiers. J’ai souri à nouveau.
7:30.
Florent a préconisé que l’on n’arrive pas trop tard aux Urgences, parce qu’après huit heures, ce sont les touristes qui affluent. On va avaler un truc, et partir aussitôt. Si le plâtre est confirmé, il va falloir reprendre l’écriture à une main. Cette perspective-là, par contre, ne m’enchante pas.

Quinze jours d’arrêt. Un plâtre en résine bleue. Une fracture du col radial gauche. Anne, à qui j’apportais mon arrêt-maladie, s’est exclamée : mais tu devais avoir sacrément mal ! Je ne me suis pas senti de la décevoir, j’ai joué au héros stoïque. Ce n’était pas insoutenable : c’était gênant. Moins que le plâtre. Écriture à une main, le retour du travail entravé. Mais je ne me plains pas : j’ai quinze jours devant moi, certainement reconductibles, des congés à économiser – ou à ajouter à l’arrêt. J’ai du temps pour moi, pour le travail sur l’écriture, pour les vacances avec Jean-Pierre. Qui dit : laisse-moi travailler maintenant. Parce que je lui demande d’aller poster pour moi l’arrêt-maladie à la sécu. Parce que je le mets à contribution sur mes différents projets (il lit, annote, commente, comprend, explique, s’emballe ou réfléchit, il a du pain sur la planche). Henri a demandé au téléphone : Jean-Pierre est photographe ? J’ai répondu : entre autres… J’ai hésité, c’est lui qui a terminé ma phrase : … talents. C’est ça. Entre autres talents.
Henri a appelé, il répondait à l’e-mail que je lui avais envoyé en début d’après-midi, à propos du coude cassé, du travail sur le texte que j’avais le temps d’aborder tranquillement, et de la couverture, sujet qu’il proposait de discuter au téléphone. Il a suggéré, pour la présentation à Vilo (distributeur, représentants), d’utiliser la carte postale de Kim Sooja. Pour Herb Ritts, il a dit : je ne vois pas comment… Pour la photo de Jean-Pierre, les mannequins sans tête de la vitrine de Zara, il a dit : trop froide. Puis : Jean-Pierre est photographe ? Avant de proposer que Jean-Pierre photographie lui-même une femme, de dos, dans une foule. On s’est regardé, Jean-Pierre et moi, on était d’accord que non. Non : pas faire du Kim Sooja. Il a eu plusieurs idées, je lui ai dit qu’il pouvait y réfléchir. Je lui ai raconté qu’Henri avait parlé ensuite de Laura, et de Dustan. Du journal publié. Il a conclu l’appel, Henri, en disant que s’il avait lu Laura avant, il m’aurait fait poireauter des semaines avant de m’envoyer le contrat. J’ai osé : pitié ! On a ri ensemble, puis il a raccroché.
Avant cela, j’avais envoyé un e-mail à Triangul’ère, avec une nouvelle version de Mutilé. Une version expurgée, censurée en somme. Une version différente, que j’avais fait lire à Jean-Pierre pour avoir son avis sur le texte débarrassé de son aspect politique, l’aspect qui gênait Christophe Gendron, risquait, écrivait-il dans sa lettre, de lui attirer la colère des ligues d’associations familiales. Jean-Pierre avait trouvé ça bien, il était d’accord sur l’autocritique de complaisance que je me faisais, à propos d’un texte qui dépeignait crûment le viol d’un bébé par son père. J’ai donc envoyé cette version-là, par e-mail, associée à un courrier à la fois docile et engagé sur l’accord que je donnais en censurant mon texte, et la position qui me semblait devoir être celle de la revue, dans le combat contre les hypocrisies. Quand le téléphone a sonné, je pensais à Triangul’ère plutôt.
Mais non. H&O.
Le travail peut commencer maintenant. Certes, il y a des courriers en attente, vers Kinu, vers Michel qui m’en demande plus à propos de ma prochaine publication. Mais le temps est là, devant moi, offert. L’arrêt-maladie. Qui va muscler mon bras droit.
Ah ! Un article de Libération m’apprend que les hommes qui se masturbent au moins cinq fois par semaine depuis l’adolescence risquent moins le cancer de la prostate que ceux qui s’en abstiennent. Je parlais de vidange : j’avais raison.


_résidence Laurent Herrou | Avant | 18 juillet 2003

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le vendredi 13 septembre 2013