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Avant | 4 juin 2003

L’envie de bander, violente, qui me surprend. Me tend. Je baisse le pantalon, connecte la ligne, je rencontre un type de San Francisco. Il n’y a pas d’e-mails, de photos, des autres. On échange, trois photos, dix minutes de connexion, peut-être un peu plus. J’ai rendez-vous, en ville, Marguerite Tiberti, le Ricochet. J’ai imprimé le texte, c’est ce qu’il fallait faire, d’abord. Puis le journal, la phrase sur l’envie de bander, qui précédait même l’acte de bander : l’envie de voir ma queue dure, s’ériger, se lever. Nue. Je ne jouis pas. Je déconnecte. J’écris quelques mots.
Puis : je pars.

Jean-Pierre s’en va pour S.I.S., j’ai trois heures devant moi. J’ai trois heures devant moi, peut-être même quatre, je ne compte pas. Je sais que j’ai envie de. Que le temps devant moi est synonyme de cela. Même si on a joui. Ensemble. Sa main en branle rapide sur ma queue tendue, large, que je sentais énorme, qu’il engloutissait, affamé, excité par elle. Tandis que je le suçais moi aussi, mais calmement, avec application, les yeux clos, le visage posé sur sa cuisse, une main sur ses couilles. Il s’affolait sur moi, moi je prenais mon temps, sage. C’était l’harmonie parfaite, entre mon désir de jouir, et son désir de violence face à ma queue, et son désir à lui, de jouir, et ma maîtrise calme face à son sexe. J’ai explosé, j’ai laissé aller, je ne l’ai pas prévenu, j’aurais pu, c’est parti dans tous les sens, de mes jambes vers le dessus du lit, vers mon ventre, vers mon visage. Il a caressé le sperme sur mes poils, écrasé entre ses doigts, me l’a fait goûter – je continuais autour de sa queue. Il me l’a ôtée de la bouche, s’est fait jouir à son tour. Je pensais à internet, je pensais à quatre personnes, lui, moi, Chuck et Dave, j’imaginais une chambre d’hôtel en Amérique, et nos corps déshabillés, lascifs, passant de l’un à l’autre, la jouissance en sexe lourd et couilles lourdes, en corps lourds, en plaisir masculin, détendu. Je me suis dit (c’était avant de jouir) que je devais écrire là-dessus, vraiment, me lâcher, commencer un nouveau texte dans cette chambre d’hôtel fictive où quatre hommes se retrouveraient pour faire l’amour en couples, entre eux, décomplexés, libres. J’avais envie de lui en parler, j’avais envie de connecter internet, et d’écrire à Chuck et Dave, j’avais envie de connecter la caméra et d’offrir au monde ma bouche sur sa queue, et sa main sur la mienne, et les jouissances. J’avais envie que cela vienne de lui, je me suis dit que ça irait lorsque cela viendrait de lui.
Après la jouissance, on a bu du thé, on a parlé du rendez-vous avec Marguerite, j’ai appelé Géraldine pour lui dire de s’y mettre, que Marguerite prévoyait un album de vingt-quatre pages, format A4 (ou presque), qu’il n’y avait plus qu’à présenter les dessins, et pour moi, à retravailler la forme, pour la simplifier et l’alléger en direction du jeune public, Marguerite disait : en rendant le texte plus clair, plus transparent, les effets apparaîtront davantage, tu n’en éprouveras que plus de satisfaction – et ton lecteur aussi. On a déjeuné ensemble, on a parlé littérature et publication, c’était une conversation, enfin, entre un auteur et une éditrice, c’était ce dont je pouvais rêver, ce que je savais être capable d’offrir, mon intérêt, et de recevoir, une expérience. On a déjeuné ensemble au Vin sur Vin, ce n’était pas bon. J’ai croisé Bernard sur le chemin du restaurant ; lorsque je suis passé à la Fnac ensuite, il m’a demandé si Marguerite et moi avions des projets en commun. Je suis resté évasif, j’ai dit : peut-être. Je n’avais pas envie d’en dire trop, de m’avancer. Et puis Géraldine dans le projet, et nous sommes deux vendeurs de la librairie, qui travaillons ensemble, maintenant à plus d’un titre : je reprends son rayon, et elle illustre mon texte. J’ai dit à Jean-Pierre que je me demandais ce qu’allait donner cet album, que l’on était pour le moment dans le flou, tant que le visuel n’existait pas, que c’était une drôle de sensation, de travailler à un texte en vue d’une publication dont la forme n’avait pas encore d’image dans mon esprit. Il me comprenait. Il a demandé : tu as dit à Marguerite que Géraldine et toi vous étiez invités au Festival du Livre et de la Parole, en décembre ? J’ai répondu que non, que ça ne s’était pas présenté, que je ne savais pas comment amener cela sans avoir l’impression de presser une date de publication, de chercher une échéance. J’ai demandé à Marguerite si j’avais une deadline, elle a répondu : ne laisse pas passer trop de temps quand même… Elle parlait du travail sur le texte, moi c’était l’inverse, j’avais peur d’en laisser passer trop peu. Elle a dit : quand tu veux… Géraldine, à ma proposition de travail, a dit : on fait un point la semaine prochaine ? J’espère que cela va marcher. J’espère, oui, que cela va me plaire, énormément.
J’ai glissé de la branle vers le travail d’écriture, la main toujours, écrirait Amélie Nothomb. Michel a répondu à mon e-mail qu’il ne pensait pas que l’on parlerait de nous dans le Dictionnaire des Cultures Gaies et Lesbiennes, il espérait somme toute que la collection y figurerait. Florence de chez Vilo m’a demandé si j’avais eu des nouvelles de H&O, devant ma négation, elle s’est indignée, promettant de prendre des renseignements auprès d’eux. Jean-Pierre, à qui je le racontais, a pris un air dubitatif. Je voudrais qu’il y ait…
Pierre Denan, un enthousiasme.
Hubert Colas, un projet.
Kinu Sekigushi, une date de publication.
Géraldine Point, une illustration.
H&O, une réponse.
Je continue à vouloir beaucoup, à ne pas me contenter des plaisirs qui m’arrivent, ne pas en profiter. L’horoscope du jour disait qu’après toutes ces attentes, cela y était enfin, la confirmation.
Ça y est ?


_résidence Laurent Herrou | Avant | 4 juin 2003

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le mercredi 12 juin 2013