christophe grossi | lirécrire

Accueil > la chambre d’amis > Avant | résidence Laurent Herrou > Avant | 30 mai 2003

Avant | 30 mai 2003

Il y avait un e-mail réponse de Pierre Denan, qui disait qu’il allait s’occuper du référencement Fnac, et qu’il me remerciait pour mon texte. Il y avait dix autres courriers, des publicités, j’ai tout jeté à la poubelle. J’ai essayé d’appeler Marguerite, c’était occupé, j’ai mis en marche le rappel automatique, en appuyant sur le 5. Je vais donc être interrompu dans la frappe du journal, je crois que je le fais exprès. J’ai joui, aussi, deux heures de connexion, depuis huit heures et demi ce matin, il est dix heures vingt. J’ai rencontré Olivier et on a parlé français : je veux dire que l’on a parlé de la langue française. J’ai coupé avec lui quand j’ai eu envie de jouir, j’ai dit que c’était bien de savoir dans quel camp il était – celui des amis. J’ai joui devant des queues anonymes, je n’avais pas réellement de plaisir, juste une fringale un peu stupide. Ça a pris une heure, après l’heure passée avec Olivier. Entre temps, Pierre Denan et les mails-poubelle. Tout se mélange sous le clavier.
Il est trop tard pour parler de Dogville. J’ai rêvé de religion, c’était à cause du film, j’ai même eu peur, au sortir d’un cauchemar où la voix de Nicole Kidman me poursuivait, d’avoir offensé les dieux en comprenant trop bien le film. Jean-Pierre a dit : c’est une interprétation, j’ai répondu que c’était la seule. J’ai dit : si Jésus n’était pas mort pour l’humanité, s’il avait choisi : Œil pour œil, dent pour dent… J’ai trouvé le film brillant – je ne voulais pas y aller au début. C’est un peu tard pour en parler parce que, peut-être, j’aurais dû le faire hier soir – mais je n’avais pas envie d’écrire. En remontant par l’avenue Jean Médecin, tournant sur Clément Roassal parce que je voulais déposer un truc dans la boîte aux lettres de Ben (mais la porte d’entrée était fermée), on a croisé le roux. C’était inattendu, c’était la tombée de la nuit, il n’y avait quasiment personne en ville : mais le roux, de l’autre côté de Clément Roassal, trottoir opposé, parlant avec un gars. J’ai tendu la main, dans le dos de Jean-Pierre, ne sachant pas si j’allais crier : tu vas bien ? Le roux a vu mon geste (il ne m’avait pas vu, d’abord), il a tendu le bras à l’identique, silencieux, souriant. Je n’ai pas tourné la tête, je n’ai pas émis un son, on a poursuivi notre chemin, Jean-Pierre et moi, une baguette de pain sous le bras pour notre repas du soir. Amoureux.
Amoureux.
Infidèle.
Jouisseur – je préfère : branleur.
À infidèle, je préfère :

Le téléphone sonne.
On reporte au lendemain, Marguerite et moi, le Ricochet.
Je ne sais pas ce que je préfère, au fond, de l’amour au fantasme, de l’écriture à la publication, du sacrifice au massacre.

12:15.
Timon… Viendra ? Viendra pas ?
J’ai rencontré France en allant faire les courses chez Picard. Est passé sur le trottoir opposé, pendant que nous parlions ensemble, le sosie de Christian, que j’ai perdu de vue rapidement. En revenant de Picard, j’ai trouvé une lettre dans la boîte qui provenait de mes cousines, Édith et Isabelle, de La Réunion : j’ai pensé qu’elles m’écrivaient à propos de la lecture de Laura, en vérité elles ne parlaient que de la grève et des manifestations (elles sont profs d’anglais). J’ai bien entendu été déçu, je me suis menti à moi-même, comme je sais le faire, en souriant à la lecture de leur lettre, en enfouissant derrière ce faux sourire le sentiment de déception. Au cas où l’on me regarderait, au cas où je serais en train de jouer dans un film géant, dont je serais le héros. Jim Carrey. Ou : EdTV. Ou juste : me tromper encore, être incapable d’accorder le physique aux sentiments. Jean-Pierre a dit hier que je serais toujours insatisfait, quoiqu’il arrive, que passé ce constat-là, difficile, on ne pouvait que vivre avec moi, sans prendre ombrage de quoi que ce soit, puisque l’on n’avait rien à voir avec le problème. Il avait raison. Personne n’a rien à voir avec mes problèmes. Tout ce qui me tracasse se passe entre moi et moi. Parce que moi et moi ne sont pas la même personne.


_résidence Laurent Herrou | Avant | 30 mai 2003

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
BY-NC-SA (site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne et dernière modification le vendredi 7 juin 2013