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ici un jour


 
 
Ici un jour, avant que tout soit grignoté et rapetissé, il y eut des stands nus prééquipés prestige trampoline et coup de pouce, des gens dedans debout assis, à boire à manger à se caresser la couenne, la caisse sur les genoux et la clé de la chambre d’hôtel dans la poche, des gens des fois les mêmes des fois non devant leurs livres, figés fixés exposés à la lumière électrique, encre sèche à force d’attente, explosant exposés disparus maintenant. Ici le canapé rouge a peut-être crevé ailleurs mais la chaise qui n’a de souvenirs que pour celui qui désire lui en donner attend toujours qu’on vienne la chercher. Ici oui je me souviens d’un jour pas si lointain que ça et il aurait fallu y penser plus tôt, faire chaque année des photos au même endroit pour montrer comme le sable s’étend dans la baie et recouvre la terre, comme le vide s’expose aujourd’hui derrière les palissades et les rideaux plissés où même les vendeurs de sandwiches plastiques se sont fait ferraille, la gouaille en travers de la gorge, leur ketchup éclaté sur les murs. Ici un jour il y eut des foules à bâiller et des éternuements de secours, des empreintes rapidement nettoyées, remplacées, recouvertes. Ici se meurt doucement. Ici se meuvent les gestes, claudiquent les vigiles et ma langue est hirsute, décoiffée. Ici s’oublie. Ici un jour il y eut des jambes lourdes et des mains moites, des bises mortelles qu’on s’échangeait entre passages obligés. Ici les poulains qui ne sont même plus dans l’écurie ont été remplacés par des engins alignés en ordre de bataille, une avant-garde qu’on dirait inoffensive, prête pourtant à gagner un mètre de plus l’année prochaine. Ici la crise oblige à des crispations commerciales et titille le nerf sciatique de la guerre. Ici se crispe. Ici la foire d’empoigne qu’on attendait a eu lieu ailleurs, Paris plage a remplacé la page, et même si le mot crise est venu scier les mots criés dans chaque coin d’allées, ça n’empêche pas la wonder foule de se presser d’y aller et de se faire presser par les figures du moment. Ici un jour le clic a fait oublier ce qui précédait. Ici un jour le message d’évacuation fera pousser des cris, fortement, et les yeux fixes n’auront plus que la télé pour pleurer. Ici un jour peut-être que les reliques nous les prendrons. Ici nous avons soufflé, pas un jour cinq minutes. Ici un jour il y eut des appels en absence, des rendez-vous manqués et quelques bons moments. Ici pas un jour mais deux, ceux qui refusaient de me voir ont rebroussé chemin, ont regardé ailleurs, ont fait semblant d’être déjà pris. Ici nous isole. Ici ne console. Ici les écouteurs dans les oreilles cinq fois matin et soir dans la neuf la huit le tram sans le tambour social, le cynisme des uns ou le mépris des autres, rien que le son et sa respiration, sous la ville. Ici un jour t’écouter et te parler toi toi vous et toi qui êtes venus, de loin parfois. Ici le jour se relèvera ailleurs.
 
 
 
 

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le mardi 26 mars 2013