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kwakizbak #54


 
 
Kwakizbak ne croise jamais personne ici – à part quelques lapins de Garenne et des oiseaux qui se servent de l’îlot comme d’un gué pour se reposer. Bien qu’on y trouve une ancienne fortification militaire et des casemates, aujourd’hui cette île on ne l’habite pas, on ne l’exploite pas. Pourtant, des humains l’ont peuplée. D’ailleurs, plus au sud, formée à même le sol, une grande croix de galets signale à qui voudrait le savoir qu’on a déporté et torturé là tout un tas d’anarchistes, d’ennemis du peuple et de réfractaires à une certaine constitution, que beaucoup sont morts de faim, de soif, d’épuisement. Du coup dans la région, cette île on prétend qu’elle est maudite. Mais Kwakizbak aime bien regarder l’immense croix et compter les galets un par un. C’est ce qu’il est d’ailleurs en train de faire (il en est à trois cent quarante-quatre mille et quelques) quand un type s’approche de lui.

— C’est vous qui étiez en train de prier tout à l’heure ? demande le type.
— Je ne priais pas, je reprenais mon souffle.
— Ah bon... L’île ne permet à personne de penser. Et puis il n’y a pas d’or dans cet endroit. D’ailleurs rien de bien n’y pousse.
— J’ai déjà assez à faire avec votre monde. Vous répondre est une occupation à plein temps.
— Vous ne le savez sans doute pas mais ici sont morts des plus malins que vous. Plus d’une âme a été enlevée et n’a jamais été rendue à son propriétaire.
— C’est le narrateur de cette idiotie qui vous envoie, c’est ça ?
— Le dernier dans ton genre que j’ai croisé s’est pendu.
— S’il se souvient de la recette, demandez-lui de me l’écrire.

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le samedi 5 juin 2010