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kwakizbak #26


 
 
Il a mal aux cheveux. Et puis ces dents qu’il ne cesse d’entendre pousser. Il a mal aux cheveux et se plaint d’être vivant. Ses cheveux font mal mais il ne cherche plus à lutter. C’est à cause des bateaux. Ils le fatiguent tous ces bateaux. Entendre ceux qui s’en vont et attendre ceux qui reviennent, tout ça l’épuise. Et il n’a plus faim, plus soif. Comme toi, il a écrit. Mais il n’a pas peur. Je n’ai pas peur il dit. Et il ne ment pas. Il dit aussi qu’il ne faut pas mentir. Compliqué déjà quand on dit la vérité. Et la vérité c’est qu’il pressent que tout ne sera bientôt plus que brume et souvenir flou. Comme une empreinte, celle d’un corps que le sable aurait recouvert. Mais ce corps où est-il passé ? Et que fait-il ailleurs que près de lui ce corps tandis que le sien n’a plus la force d’attendre son corps à elle qui n’est pas revenu par ce coté-ci de la mer ni par ce côté-là ? Il ne le saura sans doute jamais. Non ce qu’il vient de comprendre est plus concret. Nous sommes bel et bien séparés désormais, il dit. Oui il dit ça. Et tandis que le regard plein de vie des enfants et les grimaces de leur mère sont désormais épinglés au mur du salon, il se souvient soudain des phrases prononcées quelques années auparavant près des berceaux. C’était quoi déjà ? C’est pour la vie, les jumeaux te ressemblent, ils te ressembleront de plus en plus, quelque chose comme ça. Alors il a gardé les photographies et le souvenir de ce jour, leur regard plein de vie et les grimaces de leur mère.

– Trente ans, j’aurai mis trente ans pour les avoir et il aura fallu trois minutes à peine pour qu’on me les enlève, dit-il au moment où Kwakizbak éteint la télévision.

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le lundi 15 février 2010