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Emmanuel Delabranche | objets isolés.
on est tous des objets isolés
Il y avait de la place dans la ville alors on a fait comme on pouvait avec celle-là
Un jour on a installé une piscine sur celle appelée gambetta
Un simple bassin rectangulaire posé à même le sol occupant le quart nord-ouest et de montrer ainsi une diagonale de vide inverse et voir en son eau les alentours s’y refléter
Les côtés étaient en fer comme de la tôle ondulée et blancs et peu hauts juste de quoi assis dedans s’immerger et pour les autres assis au pourtour d’en voir la surface et le miroir une ceinture de bancs d’en limiter l’accès et dans son dos celui du commerce bassin géant port intérieur oublié des bateaux devenus trop grands depuis longtemps
Les enfants se déshabillaient sur les bancs ou dans les bras des parents qui accompagnaient et enjambaient le bajoyer pour glisser dans une eau tiède et chlorée dont ils ne ressortaient qu’avec l’extrême difficulté de celui qui heureux voit la vie le rattraper
Les voitures étaient garées autour et pas un arbre pour mettre la distance mais rien ne comptait plus que cette eau en centre ville ce bassin sur la place
Et la ville de vivre
Les rues voisines ne voyaient aucune raison de changer leurs habitudes et les passants juste de regarder sans cesser de marcher et les enfants dedans de crier d’éclabousser de jouer
On avait installé ce bassin sur l’idée d’un seul homme et personne de contrer alors on y est allé on l’a rempli occupé le corps sous l’eau les yeux ouverts on a regardé la ville et ses blocs de béton quadrillés on a regardé le ciel que le vent se faisait fort à chaque instant de changer
Ça a duré l’été ce bassin sur la place la piscine en ville et on a tout démonté restait au sol la trace de la bâche et du sable qui servaient de fond et les bancs de mettre plus de temps pour disparaître attendant de la municipalité un camion
Un bassin à la bourse existait au modélisme il servait on n’a pas fait la différence on s’y est jeté et on a eu du mal à nous en sortir toute à nous qu’elle était la ville avec ses places ses rues ses quais ses jardins et ses bancs répandus comme aujourd’hui la publicité
on est tous des objets isolés
Emmanuel Delabranche est architecte, auteur et blogueur. Il dessine, écrit et photographie, publie parfois des textes sans photo, parfois des photos ou des dessins sans texte et, lorsqu’il mêle le tout, l’un n’est jamais l’illustration de l’autre. La lumière et la couleur sont au centre de son travail de création ainsi que (dans un même geste) la ville qu’on démolit et qu’on reconstruit. Il est sensible aux mouvements, aux déplacements. Et surtout, peut-être plus que tout le reste, il réussit à aborder de manière intime mais jamais impudique, poétique et rarement nostalgique, son propre rapport au temps : enfance, traces dans le paysage et dans le décor, ce qui reste de certains passés (ouvrier, paysan, ferroviaire, campagnard...) et qui est en train de disparaître.
Son récit, Une ville, mis en ligne sur publie.net (et bientôt disponible dans une version papier) opère une série de boucles dans la ville du Havre, je vous le conseille. Quant à son blog, à peine perdu(e), rien que son nom est une invitation à dériver.
C’est la première fois qu’Emmanuel participe aux vases communicants, double honneur pour déboîtements aujourd’hui !
Infra, vous trouverez sa contribution et la mienne est chez lui.
Le texte d’Emmanuel Delabranche a été écrit dans le cadre des vases communicants. Sans Brigitte Célérier nous aurions été paumés ; grand merci aussi à elle d’avoir tenu à jour la liste des 19 échanges du mois que vous retrouverez
ici ou là.
écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne
et dernière modification le vendredi 6 juillet 2012