christophe grossi | lirécrire

Accueil > f(r)ictions > archives > corps pluriels > faudrait savoir

faudrait savoir


 
Nos corps ne sont jamais en reste d’habitudes qu’ils rejettent aussitôt : ils veulent tout et son contraire, voiler et violer, lover et voler, embrasser l’autre du regard qui déjà se tourne – faudrait savoir – et s’ils ont peur de manquer, ils n’aiment pas les restes.
Ils ne savent plus dire que nonouinonouin, comme enfermés qu’ils sont dans l’attente des autres immobiles, comme dévastés dans leur espace propre, comme prêts à tout pour se rejoindre, comme parcourus de retours d’enfance, de tours de passe-passe et d’images de passe-muraille, comme s’ils avaient oublié que traverser les murs n’était pas le plus difficile – se toucher oui.
Et c’est déjà demain et nouveaux feux aux joues.

Alors nos corps reprennent leurs couleurs ou bien vont acheter des tout comme, des presque aussi bien, des qui feront l’affaire maintenant qu’on sait que.

Quand ils se retrouvent dans des diagonales de confiance, nos corps ne se lâchent plus d’une semelle. Plus que les corps des autres ce sont leurs voix qui maintenant viennent prendre toute la place et résonner en eux au-delà du raisonnable vingt-quatre sur vingt-quatre.
Nos corps se croient sortis d’affaire.
Nos corps font le Jacques, sifflotent, pluie et beau temps s’en moquent, et se caressent jusqu’aux ancêtres histoire de se faire des idées.

Savez-vous que j’entends nos corps couiner, que la nuit je les entends mieux ?

Soudain pffff jartés les autres corps, parties en fumée les petites voix dans le pavillon, gribouillés les petits nez petits pieds petits culs petits tout : après le rêve le déluge et plus rien derrière. Mais nos corps pique-assiette retournent à leurs affaires et à leurs oxymores : bouffant à tous les râteliers, s’étonnant du manque d’équanimité de ceux qui sont devenus des palimpsestes pour eux, narguant la houle au lieu de noter, de poser des cailloux sur d’autres cailloux, de marquer d’une croix à la craie leurs désirs de blancheur, de prêter leurs voix à l’ivresse.

Si les autres corps s’absentent pour de bon, nos corps cherchent à retrouver leurs repères. Ainsi prétendent-ils souffrir d’avoir trop parlé, trop écouté, trop entendu, trop attendu.
Mais nos corps ne savent pas faire autrement.
Nos corps repartent, recommencent, d’autres chemins à prendre disent-ils mais cette fois ils n’imprimeront plus rien.
Nos corps apprendront tout par cœur.

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
BY-NC-SA (site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne et dernière modification le jeudi 14 octobre 2010