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traverser #16

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(Soixante-neuf, ça va peut-être finir, soixante-douze.)

Piétiner, trépigner, des heures que ça dure, et depuis que j’ai compris que je ne trouverais peut-être pas les réponses à mes questions, je ne me supporte plus ici. Dans mes jambes mes bras mes bottes mes yeux, dans le bas du dos, partout ça cogne maintenant. Je voudrais ne plus avoir l’impression d’un devoir à accomplir, celle de te porter aussi. Et je préfère ne pas m’étendre sur cette autre sensation, celle d’avoir vidé tout l’air contenu dans mes poumons à force d’avoir espéré ton retour. Ce bouche-à-bouche permanent m’a épuisé. Et ce plein de moi en ta présupposée présence (ce vide contre lequel je me bats) a pris toute la place laissée vacante dans mon corps. Tu es désormais si lourd que j’aimerais pouvoir me débarrasser de ton absence et qu’une de ces bagnoles veuille bien l’emporter au loin dans sa course folle... Mais lourd, le serais-tu moins si j’étais resté de l’autre côté, dans ce qui devrait être aujourd’hui mon territoire ? Pas sûr. Mais à cause de toi qui as disparu je me suis détourné du reste, de mon quotidien, de ceux-là qui n’ont pas disparu et m’attendent hors de l’Enclave, ignorant que dans très peu de temps maintenant je traverserai cette route pour enfin savoir si j’arrêterai de retourner ces mêmes questions, ces mêmes mots qui ne sont jamais parvenus jusqu’à toi lorsque tu étais encore chez vous, des mots qui maintenant empestent. Je n’aurais jamais dû revenir ici. Fini, c’est fini, soixante-treize, et je ne m’en veux même pas de dire ça, de le penser.

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le dimanche 22 mai 2011