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traverser #4

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(Dix-huit.)

Ils étaient toujours pressés les gens dans leur bagnole, c’est un fait. Quand ils n’allaient pas au boulot, au supermarché ou à la pêche aux affaires, quand ils n’emmenaient pas les enfants à la piscine, à l’école, au stade, au centre aéré ou à un goûter d’anniversaire, ils quittaient la frontière, fuyaient cette zone et allaient se planquer à l’intérieur du pays, là où c’est plat et plein de champs de maïs, comme des animaux effrayés. Ils n’avaient jamais de temps à perdre en tout cas. La vie est courte pour nous les gens qui sont au volant, ils disaient, alors le vieux sur le bord de la route il peut bien attendre. L’est plus pressé, lui, maintenant qu’il est devenu vieux, il a tout son temps. Tu vois bien qu’ils n’étaient pas si attentionnés que ça quand ils étaient dans leur bagnole et qu’ils allaient gagner leur paie ou bien se carapataient sans demander leur reste. Bosser ou pas, c’était le même résultat pour toi d’ailleurs. Ils ne s’arrêtaient pas plus. Avant, ils n’avaient pas le temps, fallait gagner sa croûte de l’autre côté de la frontière parce que ça payait mieux − on disait ça. Ils auraient mieux fait de se méfier un peu plus plutôt que de... parce qu’après, c’était dans l’autre sens qu’ils passaient à toute allure. Ils n’avaient pas le temps non plus. Il fallait sauver sa peau. Ils gueulaient que les chars allaient arriver d’une minute à l’autre. Et toi tu disais qu’ils jouaient trop avec leurs ordinateurs, qu’ils allaient trop au cinéma. Pas bon les poumpoum et les tactactac pour des gens qui font du va-et-vient et se croient invincibles dans leur bagnole. Pas bon du tout.

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le dimanche 10 avril 2011