christophe grossi | lirécrire

Accueil > carnets & journaux > vital journal viral > vital journal viral #4

vital journal viral #4

du 5 au 11 avril 2020

Ce journal a débuté le 15 mars 2020 ; tenu au jour le jour, il sera mis en ligne chaque dimanche sur ce site.

Dimanche 5 avril 2020

Attelé, non pas comme un animal de trait, quoique Comtois puisque natif de Belfort,
Attelé, non pas à une carriole, un cabriolet ou un break bien que le confinement me contraint à en faire un, de break,
Attelé, non pas à deux, trois, quatre maîtresses puisque n’ayant qu’une amante,
Attelé, non pas à un train, n’étant la locomotive de personne,
Attelé à aucun détenu, n’étant que simple confiné et seul de surcroît aujourd’hui,
Attelé à aucun char sinon aux poèmes de René, parfois,
Attelé à personne en général, à personne en particulier,
Attelé à aucune tâche puisque si les journées semblent se ressembler, le calendrier, depuis ce matin, nous indique que nous sommes dimanche,
Attelé à aucune besogne sinon de relire et mettre en ligne ce journal en fin de matinée, répondre au téléphone qui a sonné deux fois, aux messages reçus et nettoyer l’appartement avant le retour des enfants,
Attelé quand même,
Ainsi attelé,
La cheville attelée, donc,
(Et merci au Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales),
J’ai traversé la rue, non pas pour trouver du travail mais boire un café sur le trottoir, devant la maison de voisins amis, ma tasse dans une poche, un livre désinfecté dans une enveloppe kraft,
Et tout en étant bien attelé,
Les gestes barrières ayant été respectés à la lettre,
L’autorisation dûment remplie et pliée en deux dans une poche arrière de ma paire de jeans,
Saluant celles et ceux qui passaient, faisaient un signe, coucou, souriaient ou ne pouvaient s’empêcher de dire : “Vous êtes bien, là !”,
La glycine sur le point d’exploser,
Un voisin s’apprêtant à construire une maison pour les mésanges,
Un autre cherchant à vider son compost,
En ce jardin en pleine rue,
J’ai joui de la douceur revenue, du dehors provisoirement retrouvé, de la conversation chaleureuse, légère, amicale.

Puis ce fut l’heure de rentrer,
D’apprendre que Marianne Faithfull venait d’être hospitalisée d’urgence,
De pester (noire, la peste),
De rager (Pasteur, oh ! Pasteur !),
De vitupérer,
De fulminer,
De râler,
De jurer face à l’écran,
Mon attelle et moi.

Lundi 6 avril 2020

Depuis le 15 mars, j’étais dans l’incapacité de lire. Privé de lecture. Tétanisé, pétrifié. Face à la page, mes yeux suivaient des signes, des lettres, des mots, des constructions syntaxiques mais je ne retenais rien. Je pouvais passer une phrase plusieurs fois en revue sans que rien ne s’imprime en moi. Si quelqu’un à ce moment-là m’avait demandé ce que je venais de lire, j’aurais été bien incapable de lui répondre. À part des articles, des posts, des témoignages, des interventions, tous en lien avec l’actualité, avec la pandémie, rien d’autre ne parvenait à retenir mon attention. Jusqu’à l’obsession. Jusqu’à devenir ce moustique attiré par les phares d’une voiture. Conscient cependant des dangers, ne pouvant faire autrement. Aucune fiction, aucun récit, aucun essai, rien d’autre n’arrivait à me distraire. Que ce soit un livre, en numérique, sur un site, rien. Nulle part. Pas même une bande dessinée. À peine un bout de poème de Pessoa, deux ou trois bricoles et les histoires que je lis le soir à mes enfants. Ça ne m’était jamais arrivé. Depuis que j’ai commencé à lire, il ne s’était pas passé une journée sans lire. Et je pensais même que ça ne m’arriverait pas. Pas à moi. Naïf, frimeur, crâneur, vaniteux, orgueilleux, j’étais. Personnellement, c’est très étrange de vivre avec la littérature depuis si longtemps, de dormir entouré de tant de textes fondateurs, de n’avoir plus envie d’eux, de les ignorer, de passer à côté sans même les regarder. Et de ne même pas avoir à le regretter. Professionnellement, c’est plus compliqué. Depuis plus de vingt ans, que ce soit en librairie ou dans l’édition, je conseille, recommande, suggère, relaie : je suis un des passeurs du monde du livre. On appelle ça une passion. Et c’en est une. Ne pouvoir résister à l’envie de faire connaître telle écriture, telle histoire, telle œuvre, telle langue, telle prosodie… De viser juste. D’être au plus près des attentes de l’autre, de ses goûts et désirs de découvertes, de surprises, de connaissances. C’est jouissif, ça me plaît ! Mais du jour au lendemain, fini tout ça : robinet coupé, machine cassée.

Parfois, il suffit d’un petit coup sur l’épaule, d’un mot, d’un geste, pour que l’envie revienne. C’est ce qu’il s’est passé ce week-end lorsque j’ai reçu un message de Benoît Virot, éditeur du Nouvel Attila avec qui l’agence travaille. Benoît m’avait envoyé un roman quelques jours avant le confinement, un texte bref et percutant qu’il avait découvert lors de son dernier séjour au Québec. Il m’en avait parlé, Julie m’en avait lu quelques pages. Je savais de quoi il retournait. Et qu’il me remuerait. Mais je ne parvenais pas à ouvrir le fichier.

Après le déjeuner, je l’ai fait. J’ai lu Chienne, le premier roman de Marie-Pier Lafontaine qui paraîtra, si tout va bien, à la fin du mois d’août, dans ce moment si particulier en France, qu’on appelle « la rentrée littéraire ».

Je me souviens des Chiens d’Hervé Guibert, de la difficulté d’aller au bout de ce livre. Patrice Chéreau et Marguerite Duras ne l’avaient pas aimé, ce roman brutal. C’était le manque de l’être aimé qui avait poussé Guibert à écrire ce texte dans lequel le plaisir textuel se mêlait au plaisir sexuel de manière malsaine, lubrique.
Chienne, c’est à la fois la même chose et tout son contraire. Si le sexe et le texte ne font plus qu’un ici aussi, ce qui se dit là est la face plus que noire du plaisir : la violence, le harcèlement, la brutalité. Une bataille perdue d’avance. Et, écrivant cela, je pense bien évidemment à l’œuvre de Georges Bataille.

Dans les deux cas, il y a cette volonté d’être au plus près du corps, du sexe, du corps, du texte. Dans ce que fait subir le père à ses deux filles, l’histoire à rebours étant racontée par l’une d’elles, il y a une telle violence, un tel effroi dans ce mélange de sexe et de mort dans celui qui décharge, se décharge, se libère et empoisonne, emprisonne. Une enfant. Une autre enfant. Et une mère niquée, paniquée, responsable mais pas coupable. D’inceste.

Il y a de la tragédie grecque aussi dans ce roman mais ici ce sont pas des dieux, des demi-dieux ou des héros qui harcèlent, violentent, violent, brutalisent, rabaissent, humilient, déshumanisent, instrumentalisent l’autre. Mais des êtres humains, des bêtes humaines. Alors, comment « tuer le père » quand l’enfance a été volée et violée, quand l’enfance est une guerre sale, interne, intestine, familiale, filiale, menée par un tyran, un despote, un ogre, un assassin ? Et plus tard, comment aimer, être aimée, concevoir une vie sexuelle autrement qu’en répétant les mêmes gestes, les mêmes actes, les mêmes salissures, les mêmes humiliations ? Comment ne pas se voir comme un double du père, comment ne pas craindre la transmission du mal ? Comment vivre après ça ? Et puis : comment est-il possible de trouver les mots pour dire les maux de tout ce qui a été subi et ne peut être réparé ?

Il y aussi les silences et les blancs, ceux de la voix, de l’impossible récit et ceux de la page, où la violence est encore plus grande et vive. On entend ce qui n’est pas dit, on voit ce qui n’est pas montré.

Chienne, c’est « Balance ton porc », « Balance ton père », « Balance ton porc de père » , avec ou sans hashtag.

Et c’est ainsi (« qu’Allah est grand », aurait écrit Alexandre Vialatte) que je suis redevenu lecteur.

Mardi 7 avril 2020

Fenêtres ouvertes, j’entends des enfants jouer au loup dans la rue ou une cour, avec leur mère.
Le loup.
Qui est un loup pour l’homme. Ou la femme.
Et il y aurait tant à dire de cette guerre déclenchée par le Président Macron. Cette guerre qui n’en était pourtant pas une. Et qui, par ses mots, l’est devenue.
Voyez le nombre d’engueulades sur les réseaux sociaux, le manque de civisme dans la rue (ceux qui se croient immortels et te collent dans la file d’attente), les comportements irrationnels dans les magasins d’alimentation ! Par exemple.
Et nous autres, à fleur de peau, tantôt déprimés, tantôt surexcités, tantôt les deux en même temps, le cœur se serrant à chaque mauvaise nouvelle (10.000 morts en France depuis le 1er mars, d’après Le Monde ce soir), le cœur s’allégeant à chaque sourire, nous, perdus, déboussolés, soumis aux variations, aux vibrations, qui pleurons sur notre propre sort, qui n’avons pas pu, pas su, pas assez osé prévenir, dire non, arrêter la machine.
Le loup, donc. En nous.
Et moi qui ne suis pas un agneau, faut pas déconner non plus !
Mais qui reprendrais du poil de la bête.
Une bête que j’espère la moins inhumaine possible.
Et le poil continue de pousser, pas toujours au bon endroit – en prenant de l’âge, c’est comme ça, on finit par avoir une tête à l’envers : plus de poils de barbe que sur le crâne.
Pas de quoi crâner, donc. Faudrait pas pousser non plus !

Reprendre du poil de la bête, c’est par exemple continuer à jouer à papa l’animateur-enseignant-cuisinier-coach-soigneur tout en retrouvant le goût du travail, du projet et le sens de la vie. C’est aussi retrouver son humour sur le chemin de l’épicerie quand je croise à plusieurs reprises les Trois Brigands de Tomi Ungerer en tongs et en short.

Mercredi 8 avril 2020

Avant-hier, je parlais de Benoît Virot, éditeur du Nouvel Attila. Hier matin, j’ai lu sa tribune sur Mediapart dans laquelle il interroge la chaîne du livre, repense le rôle et les responsabilités de chacun.e, à commencer par le calendrier éditorial et le programme des publications. Dans le même temps, Chloé Pathé des éditions Anamosa, dans Livres Hebdo, écrivait : « Non, nous ne sommes pas en guerre, mais nous allons devoir nous battre pour continuer à exister, étudier ensemble les dispositifs dédiés annoncés pour les différentes branches du secteur du livre, dont les détails commencent à sortir. Ces initiatives donnent de la force, il faut vite jeter les bases d’un collectif, avant que le quotidien ne reprenne chacun dans sa lutte pour la survie. J’aimerais que ce collectif puisse aussi s’ouvrir à l’interprofessionnalité ; rien n’est urgent ou tout l’est, on verra. »
J’en étais donc là, à réfléchir moi aussi à la possibilité de remettre les compteurs à zéro, à imaginer comment tous les acteurs de cette chaîne du livre pourraient imaginer ensemble une autre façon de travailler pour laisser le temps à chaque livre de s’écrire, de s’éditer, de se fabriquer, de se diffuser, de se distribuer, de se conseiller, de se vendre, de se lire… quand France Inter publie la sélection des dix titres en lice pour le prix du Livre Inter. Bien que je sois ravi de retrouver là certain.e.s auteur.e.s que je lis et que j’aime bien, je note que la moitié de cette sélection est estampillée Madrigall (Gallimard, Flammarion, P.O.L). Et pour l’autre moitié : 2 Seuil, 2 Minuit et 1 Verdier. Je ne cherche pas la bagarre et ne reproche rien à ces maisons en écrivant ça. La plupart de ces romans sont bons, le problème n’est pas là. Mais, quelle image du paysage éditorial français les journalistes de cette radio donnent-ils au grand public avec ces sélections qui chaque année se ressemblent et ne donnent aucune chance aux autres maisons d’édition si elles ne font pas partie d’un groupe ou ne sont pas la branche armée de l’édition indépendante ? N’y aurait-il donc que quatre maisons d’édition en France qui seraient dignes de faire partie de cette sélection ? Et presque chacune de ces maisons mériteraient de voir au moins deux titres apparaître ? Je pose la question sur Facebook. Benoît Virot, toujours lui, me répond : « L’explication est dans l’article : France Inter établit la présélection à partir des avis de 50 critiques ! 50 ! Et pourquoi pas un sondage dans le JDD ? Le critère quantitatif trouve rapidement ses limites. » Ce à quoi je ne peux m’empêcher de répliquer : « Bien sûr et un des problèmes est là. Combien de livres sont envoyés, non lus, non chroniqués ? Et combien de maisons n’envoient plus leurs livres en service de presse (un coût de plus en plus important) puisqu’elles savent par avance qu’ils ne seront pas ouverts mais immédiatement revendus à Saint-Michel ou sur la toile ? »

Jeudi 9 avril 2020

Ce qui suit est de la fiction. « Toute ressemblance avec la réalité est à imputer à cette dernière. » Jorge Volpi (La Fin de la folie)

Avant d’aller faire ses courses avec le masque en tissu qu’elle vient de fabriquer chez elle, A se prend en photo sur son balcon et la poste sur un réseau social. B répond qu’elle pourrait penser à ceux qui n’ont pas de terrasse. Qu’elle est une privilégiée. B invoque la lutte des classes, defriende et bloque A au moment où elle venait de lui écrire qu’elle vit dans un studio et que son unique fenêtre s’ouvre sur un bacon de deux mètres x un mètre. C, qui est toujours ami avec A, retire de son fil toutes les photos qui ont été prises dans son jardin au cas où B, avec qui il est également relié, vienne à lui reprocher d’être un nanti.

D donne régulièrement des nouvelles de ses enfants. On les voit faire leurs devoirs, détruire un bateau en LEGO, décapiter une poupée, le visage plein de chocolat ou à moitié à poil. E lui demande d’arrêter de poster des photos de ses enfants. E entend crier les enfants des voisins toute la journée. E n’en peut plus des enfants. “Le confinement, c’est déjà assez dur comme ça”, dit E. F lui répond qu’il est un gros égoïste et qu’il pourrait penser à ceux qui vivent à six dans un deux-pièces. E réplique : “Vous n’aviez qu’à pas faire de gosses, les capotes c’est pas pour les chiens !” D sort de ses gonds : “C’est toi l’égoïste ! T’as même pas d’enfants, tu ne sais que parler de toi…” Réponse de E : “Quand je vois dans quel monde on vit, c’est meurtrier de faire des enfants !!!” Le point G est atteint avec G justement, s’adressant à E : “Graine de SS, Nazi ! J’aurais pas aimé être ta voisine en quarante !”

H annonce qu’il vient de courir autour de sa maison pendant une heure. Il montre le plan qu’il avait imprimé. On y voit une boucle. Le point le plus éloigné est à 960 mètres de chez lui. I lui répond que c’est à cause de gens comme lui qu’on va tous crever. Il le surnomme « Goutelette ». H lui explique qu’il respecte les consignes, qu’il change de trottoir quand quelqu’un arrive dans sa direction. “Et tu maîtrises le vent aussi”, réplique I ? Puis il lui envoie une photo prise en 1918 sur laquelle dix personnes vivent à l’abri dans une cave. J s’incruste dans la « discussion » : “Que Dieu protège ceux qui sortent pour faire des courses, écrit-elle ; les autres (jogging, promenade), les irrespectueux, les égoïstes…, allez vous faire foutre !!!” H n’a pas l’intention de se laisser faire. “Je peux prendre mon vélo tous les jours pour aller bosser mais courir, non : ce bashing contre les joggeurs est ridicule !” La guerre revient sur le tapis (de souris) : “On serait en guerre, les joggeurs sortiraient quand même !” Il est ensuite question de gros bides, de troubles du sommeil, de connasses, d’égoïstes, des soignants qui souffrent, des propos et des insultes la plupart du temps suivis d’émoticônes avec ou sans masque, en colère, en pleurs et de points d’exclamation ou de suspension.

Depuis que les « drive » sont autorisés, certains libraires proposent à leurs clients de livrer leur commande, avec toutes les précautions d’usage, sans contact physique, à côté de la librairie. C’est ce que fait K depuis quelques jours. L, en retirant un album pour sa fille, s’est fait verbaliser par un gendarme : “Le livre n’est pas un produit de première nécessité.” S’ensuit un article de M qui tente de faire le point sur la situation. Les commentaires sont ouverts. N, O, P et Q s’invectivent. “Restez chez vous, dit l’un !” “Vous n’avez rien compris, écrit l’autre !” Chacun a ses raisons. Chacun juge l’autre. Chacun a enfin quelqu’un à insulter. Chacun se défoule sur son clavier.

R est fier d’annoncer que l’ancienne Ministre de la santé, Roselyne Bachelot a remis à leur place les syndicats de médecins “politisés jusqu’au bout des ongles”. S la trouve magnifique parce qu’elle “dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas”, que ce sont des “médecins politisés qui squattent les plateaux de télévision”. T n’est pas d’accord : “Qu’elle vive au présent et nous apporte sa grâce divine pour avoir des masques et des tests de dépistages maintenant !” U accuse T d’être la même « jaunarde » qui devait gueuler lors de l’achat d’excès de masques quand Bachelot était ministre. “Ta gueule !” Là c’est V qui réagit tandis que T réplique : “Ce sont les gilets jaunes, les petits, qui s’occupent de toi en ce moment, à la caisse du supermarché, dans les hôpitaux, les infirmières, les auxiliaires de vie.” Il est question ensuite d’idéologie de droite, d’une alliance Sarkozy/Macron/Extrême droite. U ne tient pas à en rester là : “Les gilets jaunes, ça n’a jamais travaillé”, écrit-il d’abord. Puis : “Respectez ceux qui bossent et ne les assimilez pas à ces restes de gilets jaunes tendance brune.” En trois échanges, V atteint lui aussi le point G en postant un gif animé sur lequel on peut lire : “Collabo !”

W poste une photo sur laquelle on voit des dizaines de personnes se ruer dans une rame de métro pendant les grèves de décembre dernier puis des voitures et camions au ralenti sur le périphérique. Son illustration : “Le confinement vous pèse ? Alors prenez votre dose de quotidien, ça ira mieux !” X réagit immédiatement : elle préfère être confinée. Y : "Tous ces gens dans le métro, ils sont la cause de l’épidémie”. Z répond alors à Y : “Je ne comprends pas que tu puisses ramener ta fraise alors que tu vis à Limoges !”

Vendredi 10 avril 2020

10 avril 2020 : 10x4 = 20+20 = quarante. En pensée avec toutes les personnes mises en quarantaine, avec toutes celles qui fêtent leur quarantième anniversaire, confinées.

Mes enfants viennent de partir chez leur mère. Je les retrouverai demain soir. En attendant, je vais m’ouvrir une bière.

Moi qui n’ai jamais su ni pu ni voulu prier, je ne vais pas commencer aujourd’hui. En revanche, si j’en avais la possibilité, là, ce soir, je pactiserais volontiers avec Méphistophélès. En échange de mon âme qui serait sienne dans 24 années, je lui demanderais de construire des hôpitaux, de remettre tous les lits que les derniers gouvernements ont supprimés. Ainsi, on pourra nous accueillir, nous soigner, dans de bonnes conditions. Si je pouvais, je lui demanderais de la clémence, celle qui a été ignorée et méprisée puis écrasée par les hommes et les femmes politiques.

Samedi 11 avril 2020

Depuis une semaine maintenant, chaque matin ressemble à un premier jour de l’an. Plein de bonnes résolutions, rempli d’objectifs impossibles à tenir, d’engagements ambitieux, de tâches difficilement réalisables, de promesses d’alcoolique.

Chaque midi ressemble à un 1er avril. Nous comptons le nombre de poissons que nous nous sommes collés dans le dos. En général, ils sont proportionnels au nombre d’actions non réalisées.

Chaque fin d’après-midi ressemble à une veille de vacances quand il faudrait faire en une journée ce qui a été mis de côté ou ignoré durant plusieurs mois de procrastination, abattre un travail colossal, vider sa boîte mail et son bureau afin de partir sereinement en vacances, faire en sorte que, à son retour de congé, tout soit comme au premier jour et puisse ressembler à une feuille blanche, une vitre sans aucune trace de doigts, une mer d’huile, une plage de sable immaculé, sans mégots ni capotes qui traînent, sans mouettes noyées dans le pétrole, un ciel sans particules fines, un réveil avec l’ami Ricoré.

Chaque début de soirée ressemble à son congé durant lequel, à l’instar de la nuit de la Saint-Sylvestre, nous nous jurons de faire plus de sport, de manger plus sainement, d’être moins flemmard, moins égoïste, plus solidaire, plus éco-citoyen, d’arrêter de fumer, de boire.

Chaque fin de soirée ressemble à la veille de la reprise quand nous nous promettons de dresser dorénavant une todolist chaque matin, une liste qui devra être entièrement rayée le soir.

Chaque nuit ressemble à la Toussaint quand le ciel est bas et pèse comme une pierre tombale, quand il y a, à mesure que nous vieillissons, de plus en plus de morts autour de nous à qui penser, à honorer, quand nous réalisons que nous n’avons pas su ni voulu prier mais que nous aimerions tout de même que nos enfants, les êtres aimés, les gens à qui nous tenons et tous les autres que nous ne connaissons pas soient épargnés.

Arrive le matin qui ressemble à un premier jour de l’an, plein de


Fleurs de sortie autorisée(s)
Montreuil, 9 avril 2020

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
BY-NC-SA (site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne et dernière modification le dimanche 12 avril 2020