Accueil > f(r)ictions > archives > paparenthèse paparentale > paparenthèse paparentale #1
paparenthèse paparentale #1
samedi 15 février 2014
CONGÉ, subst. masc. DR. PUBL. Permission individuelle ou collective de s’absenter de son lieu de travail, d’interrompre son travail dans les conditions prévues par le règlement.
PARENTAL, -ALE, -AUX, adj. Qui appartient aux parents (père et mère) ; qui leur est propre.
♦ Congé parental. Les employés de manière permanente et justifiant d’une ancienneté minimale d’un an à la date de la naissance ou de l’arrivée au foyer d’un enfant confié en vue de son adoption, ont droit, sur leur demande, à un congé parental non rémunéré pour élever cet enfant (J.O., 19 juill. 1980, p.1828).
ÉDUCATION, subst. fém. A.− [L’éducation envisagée comme formation] 1. Art de former une personne, spécialement un enfant ou un adolescent, en développant ses qualités physiques, intellectuelles et morales, de façon à lui permettre d’affronter sa vie personnelle et sociale avec une personnalité suffisamment épanouie ; p. méton., moyens mis en œuvre pour assurer cette formation.
[Source : Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL)]
Lapetite a trois mois et Legrand, soixante-cinq, au moment où j’envoie un message d’absence du bureau à mon carnet d’adresses électroniques et désactive de mon téléphone portable la réception des courriels professionnels. Ainsi débute mon congé parental d’éducation (qu’on rebaptisera ici paparental), février rogné en son milieu. J’éteins l’ordinateur, sors sur la terrasse fumer une roulée et ferme les yeux. Six mois sans travailler (et peut-être plus), ça ne m’est jamais arrivé. Si j’ai l’impression que mon travail salarié ne me manquera pas et que je devrais m’en sortir avec les enfants, le quotidien, la logistique, une question néanmoins revient ricocher : parviendrai-je à travailler pour moi : à écrire ?
En franchissant six mètres et seize centimètres au premier essai, le Français Renaud Lavillenie bat le record du monde de saut à la perche en salle dans la ville de Donetsk en Ukraine où a vécu Sergueï Bubka et où il a réalisé le précédent record en 1993. À 771 kilomètres de là (selon Mappy), vers le Nord-Ouest, les opposants au gouvernement en place occupent depuis trois mois la place de l’Indépendance de Kiev, le Maïdan, et la mairie devenue le QG de la révolution. Au moment où l’athlète s’enroule autour de la barre à plus de six mètres de haut (l’équivalent de trois hommes mesurant 1,80 m et d’un enfant âgé de huit mois environ) les opposants s’apprêtent à annoncer qu’ils libéreront la mairie contre l’amnistie de plus de deux cents manifestants remis en liberté mais toujours poursuivis par la justice ukrainienne. Pendant ce temps-là, tandis que Tony Parker félicite le perchiste sur Twitter (ce qui lui vaut plus de 800 retweets et au moins 260 favoris alors que le recordman du monde en récoltait 20.000 pour un tweet posté dix minutes aupravant), des parents vont et viennent sur la place du Maïdan en compagnie de leurs enfants, parfois ils se prennent en photo devant la mairie – des selfies au coeur de la révolte.
dimanche 16 février 2014
Nuit heurtée par les réveils de Lapetite. Au petit matin, un fragment de rêve : au-delà du parc que j’aperçois depuis la terrasse apparaît nettement l’ex membre du KGB, ancien directeur de la sécurité publique et actuel président de la Fédération de Russie ; il s’apprête à mordre dans une pomme qui ressemble à s’y méprendre au logo d’Apple ; il la croque, la mâche et la recrache en petits morceaux sur la carte de l’Union Européenne qui se trouve être un tapis qu’il a fait faire sur mesure et sur lequel il frotte ses rangers avec application avant d’entrer dans son bureau. Il empoigne alors son téléphone portable et commande un gâteau au chocolat amer à son pâtissier pour le lendemain midi : je veux qu’il ait la forme de l’Ukraine et collez-moi une cerise en lieu et place de Kiev, dit-il. Et n’oubliez pas d’inviter autant d’enfants qu’il y a d’étoiles sur le drapeau américain, rajoute-t-il avant de jouer aux quilles avec le reste de la pomme.
À la veille de la tenue à l’Élysée d’un « Conseil de l’attractivité », le premier ministre Jean-Marc Ayrault reçoit à Matignon 26 patrons d’entreprises internationales. On apprend que cette semaine à l’Assemblée nationale, lors de la journée du livre politique, le député souverainiste Nicolas Dupont-Aignan a dit au journaliste de LCP Frédéric Haziza qu’il était « une merde intégrale, une vraie merde ». À Kiev, l’opposition ukrainienne, après avoir évacué la mairie, obtient une loi d’amnistie pour les manifestants ayant commis des délits entre le 27 décembre et le 2 février. Dans le Puy-de-Dôme, un enfant de trois ans est retrouvé mort chez son père qui a disparu.
Il y a cent ans New-York était paralysé par la neige, on se battait dans les Balkans, des enfants mouraient déjà dans les journaux, tués par d’anciens enfants qui avaient enfanté ou pas, des enfants devenus adultes et tueurs d’enfants. Ici et aujourd’hui dans le quartier, les enfants ne se roulent pas dans la poudreuse. Leur bas de pantalon ne sont ni trempés ni crottés par les sauts dans les flaques d’eau, les caniveaux, la boue. Il fait exceptionnellement doux et la lumière inonde la maison. Au cours de la journée, je note des choses sur Evernote, ce que j’entends, lis ou vois, des bribes du monde extérieur, ce qui surgit aussi ou entre par effraction.
Nous sommes quatre dans la maison, ensemble pour un long moment : Legrand est en vacances pour deux semaines et C. reprend le travail dans deux mois. Le changement de rythme est brutal : je ne suis plus salarié, pas en vacances ni au chômage ou malade. Je sais que mon nouvel emploi du temps va également bouleverser mon rapport à l’écriture (lieu, moment et outil), l’ordinateur se trouvant au dernier étage, dans cette pièce actuellement sans fenêtre où je passais jusque-là dix ou douze heures par jour et qui ressemble plutôt à une buanderie qu’à un bureau. Du coup je viens de réinstaller Evernote sur l’ordinateur, le téléphone et la tablette. Quand je ne serai pas devant l’ordinateur (ce qui sera très souvent le cas), à chaque fois que j’écrirai, modifierai ou supprimerai quelque chose sur l’un des trois supports, la mise à jour sera également effective sur les deux autres. Je dois maintenant m’habituer à écrire de façon plus fractionnée, hors du bureau (qui reste mon oloé [1] de prédilection) et en tapotant sur le téléphone ou la tablette.
Compagnon, papa, voisin, citoyen, sera-ce suffisant pour se sentir à l’aise dans la parenthèse ?
lundi 17 février 2014
En Nouvelle-Zélande, le Premier ministre se défend d’être un reptile extraterrestre. À Paris, tandis que François Hollande et son ministère font la danse du ventre auprès d’entrepreneurs étrangers afin qu’ils veuillent bien s’installer en France, Serge Dassault est entendu par la police au sujet d’achats de votes présumés. Plus à l’Est, une Mulhousienne s’apprête à passer la soirée dans une discothèque avant de finir sa nuit à l’hôtel ; pendant ce temps sa fille de trois ans est seule dans l’appartement, à cinq heures du matin ses cris réveillent les voisins qui appellent la police qui laisse en vain des messages sur le répondeur de la mère et finit par joindre les grands-parents qui rappliquent fissa au moment où, le lendemain vers 15 heures, la mère déboule dans l’appartement.
Depuis que je suis père, un rien m’émeut. Pour être plus juste, il faudrait remplacer rien par enfant. Surtout quand il lui arrive, à cet enfant, ce que mon grand-père, violent à ses heures éthyliques, aurait appelé bricoles (il va t’arriver des bricoles si tu continues), c’est-à-dire, sans se voiler la face (l’argot minimisant ici beaucoup trop ce qu’était au XIVe siècle une bricole : une sorte de catapulte, un engin de mort), des problèmes graves ou autrement dit, tout ce qui a un rapport avec la mort subite du nourrisson, la famine et la malnutrition, les maladies telles que la pneumonie, la diarrhée ou le paludisme, mais aussi les cancers et les leucémies, ou encore les abus, la maltraitance, les viols et les coups pouvant entraîner la paralysie, des problèmes psychologiques ou la mort et bien entendu les infanticides. La chose (l’émotion) toujours soudaine, imprévisible, incontrôlable, me submerge en n’importe quel lieu et quelle que soit l’heure : en écoutant la radio, au volant de la voiture, dans le métro, en m’informant, lors d’une discussion ou au cinéma (fort heureusement je n’ai pas la télé mais Internet, si). Cette hypersensibilité me pose problème. Dernièrement il m’est arrivé de pleurer en regardant un film, non pas pour ses qualités esthétique, formelle ou d’interprétation mais parce que des parents se battaient pendant une heure et demie pour la survie de leur enfant.
D’après la FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations) un enfant meurt de faim toutes les 6 secondes dans le monde, ce qui représente plus de 5 millions d’enfants chaque année. En se connectant sur le site de statistiques mondiales en temps réel, planetoscope, on voit les enfants mourir via un compteur que des développeurs ont intégré sur la page dédiée (depuis le 1er janvier et depuis que je me suis connecté). Même chose avec les enfants qui meurent faute d’eau potable (1.400 enfants de moins de cinq ans meurent chaque jour parce que privés d’un accès à l’eau, ce qui représenterait presque deux millions d’enfants par an). Sur un autre site je lis que « chaque jour, 19.000 enfants de moins de 5 ans meurent alors qu’ils auraient pu être sauvés ». Ailleurs encore : « L’Observatoire de l’action sociale décentralisée (ODAS) évaluait à 98.000 le nombre de mineurs en danger en 2006, dont 20% d’enfants victimes de violences physiques, psychologiques ou d’abus sexuels, et 80% “en risque” (violences conjugales, enfants laissés seuls…). » Et plus loin : « près de deux enfants en moyenne meurent chaque jour de violences infligées par des adultes, en général leurs parents. » Enfin je découvre sur le blog UNICEF Éducation les « Chiffres fondamentaux » pour l’année 2007-2008 : naissances et décès dans le monde, en détail.
Une fois encore je me laisse prendre par le morbide chiffré et liste mes peurs, mes inquiétudes, mes angoisses, idiot et pourtant incroyant que je suis, alors que je sais parfaitement qu’il est impossible de tenir le malheur à distance. Les peurs archaïques et les superstitions collent à la peau trop douce.
mardi 18 février 2014
Pour éviter que les députés aient la mauvaise idée de nommer un nouveau Premier ministre ukrainien pro-russe, des manifestants décident de prendre de force le contrôle du siège du parti du président ukrainien Viktor Ianoukovitch qui en novembre dernier avait préféré se rapprocher de la Russie plutôt que de signer un accord avec l’Union Européenne. Le pouvoir en place réplique : grenades lacrymogènes et canons à eau contre pavés et cocktails Molotov, as usual. On nous annonce déjà seize morts (civils et policiers) et des centaines de blessés mais on ne nous dit pas combien de voitures ont brûlé, si des voitures ont explosé, s’il y avait des Peugeot ou des Citroën dans le lot (il paraîtrait que les Chinois suivent les émeutes de très près maintenant qu’ils vont entrer au capital de PSA à hauteur de 14%).
Certains adultes, parents ou non, se plaisent parfois à me raconter les pires atrocités subies par des enfants comme s’ils avaient besoin de refiler au premier venu ce témoin, mélange de peur et de dégoût qui se rapproche assez de la vomissure, qui leur brûle les doigts, sans doute pour éloigner le mal, s’en débarrasser ou de peur d’avoir été atteint, imprégné, contaminé. Je ne sais pas comment on en est arrivé là, eux et moi (qui fais comme eux ici en signalant tel ou tel fait divers morbide). On se croirait sur la route quand les automobilistes suite à un accident ralentissent, non pas parce qu’il y a danger mais parce qu’ils veulent savoir s’il y a du sang sur la route, des corps disloqués, de la chair en bouillie, il veulent leur dose de mort, leur steak du jour, bien saignant, pour se sentir plus vivant, comme les vampires. Je ne vaux pas mieux qu’eux.
Je ne souhaite surtout pas parler au nom de tous les pères du monde, je sais bien que Saturne se cache en chacun de nous.
En additionnant les poids de C., de Lapetite et de Legrand on arrive grosso modo au mien.
mercredi 19 février 2014
À 4:38, les médias français diffusent l’information du ministère de la Santé ukrainien selon laquelle à Kiev les affrontements nocturnes entre les forces de l’ordre et les opposants au pouvoir en place (qui réclament toujours le départ du président Ianoukovitch) auraient déjà fait plus de vingt-cinq morts (civils, policiers, journalistes). Quinze minutes plus tard, on apprend que des manifestants ont pris d’assaut plusieurs bâtiments publics dans l’Ouest de l’Ukraine, notamment à Lviv. À 5:14, le président Ianoukovitch accuse l’opposition de vouloir prendre le pouvoir, non pas par la voie légale mais par les armes. Le leader de l’opposition, Vitali Klitschko réplique trois heures plus tard en demandant aux manifestants le retour au calme. Pendant ce temps, on voit passer sur les réseaux sociaux les photos d’une ville en flammes. À quelques heures d’un conseil des ministres franco-allemand à l’Élysée, Élisabeth Guigou, présidente de la Commission des Affaires Étrangères de l’Assemblée nationale demande la convocation d’un Conseil européen au sujet de l’Ukraine et BHL ne trouve rien de mieux que d’exiger le boycott des JO de Sotchi. Au fil de la journée des responsables politiques européens (Pologne, Suède, Allemagne, Royaume-Uni...) commencent à dénoncer la responsabilité du président ukrainien mais sans s’impliquer davantage (de la communication avant tout, notamment via Twitter). De l’autre côté, la Russie dénonce une tentative de coup d’État et exige de l’opposition ukrainienne qu’elle cesse les violences. À 11:10, Ianoukovitch décrète une journée de deuil national, le pape François se dit « préoccupé », l’Union Européenne va étudier des sanctions mais ne réagit pas plus que ça, l’ONU demande une « enquête urgente et indépendante », le porte-parole de Poutine déclare que le président russe n’a pas l’intention de donner de conseils à son homologue ukrainien, Sergueï Bubka, choqué, demande depuis Sotchi que la “trêve olympique” soit respectée. Partout, on se réunit, on se concerte, on rédige une communication, on condamne, on sanctionne (sauf la Russie qui estime qu’évoquer la possibilité de sanctions contre l’Ukraine serait déplacé). Les services de sécurité ukrainiens lancent alors une opération « anti-terroriste » sur tout le territoire. À 22:16, Ianoukovitch annonce une trêve.
Comme beaucoup j’ai été touché de près et plusieurs fois par la mort de bébés, de nourrissons et d’enfants en bas-âge. Est-ce pour cette raison que je ne peux m’empêcher d’aller voir mes enfants quand ils sont couchés ? Pour m’assurer qu’ils respirent ? Si je n’entends pas leur respiration je m’applique à regarder dans la pénombre si les plis de leur turbulette ou de leur pyjama remuent. Parfois je tâte un front, une main. Jusqu’ici j’ai toujours pu refermer la porte sans les réveiller.
« Des chercheurs universitaires travaillent à l’élaboration d’un système capable d’identifier automatiquement – en déterminant si la source est fiable ou pas – les fausses informations qui se répandent comme une traînée de poudre sur Facebook, Twitter et autres. » (AFP). À ce propos, 32 magazines de presse ont fait leur une sur l’affaire Hollande-Gayet lors des trois premières semaines de Janvier. Selon Presstalis, société de diffusion de la presse écrite, cette actualité politico-people a généré « un chiffre d’affaires additionnel de près de 2 millions d’euros, pour plus de 800 000 exemplaires vendus supplémentaires ». À l’abri du déclin du monde, Germaine Tillion, Geneviève Anthonioz de Gaulle, Pierre Brossolette et Jean Zay s’apprêtent à entrer au Panthéon.
Devant moi, le soleil semble brûler Paris, La Défense, Suresnes : le ciel de frime est bleu vert orange et les vacances scolaires ont démarré depuis quelques jours. Quand j’étais petit on les appelait vacances de Carnaval ; aujourd’hui, depuis que les voyagistes et les stations de ski ont pris le dessus sur les festivités populaires, on préfère les appellations contrôlées (vacances de février ou vacances d’hiver) : quand le Roi Carnaval ne s’est pas transformé en un bibendum affublé d’un anorak et d’après-ski dévorant une raclette au cumin plutôt que distribuant des beignets, on peut le voir siroter des cocktails compris dans sa formule all inclusive au bar d’une piscine dans l’hémisphère Sud ou près de l’équateur, tongs havanitas chevauchant un magazine spécialisé dans les Sudoku, niveau expert, photo qui sera postée sur les réseaux sociaux, les pieds faisant autant liker les foules que les chats, les selfies, les plats du jour.
jeudi 20 février 2014
À 7h50, on dénombre déjà 28 morts en Ukraine.
Alors que Laurent Fabius est pris en photo dans l’avion qui l’emmène à Kiev, les combats reprennent sur la place (fin de la trêve).
À 10h30, on annonce au moins 11 morts de plus.
À 10h49, on annonce au moins 17 morts de plus.
À 11h38, on annonce au moins 25 morts de plus.
À 11h58, on annonce au moins 35 morts de plus.
À 13h10, on annonce entre 35 et 50 morts de plus « selon les sources ».
En début d’après-midi une infirmière qui venait en aide aux blessés annonce sa mort sur Twitter : « Я вмираю » (« Je meurs ») ; opérée d’urgence, elle sera finalement sauvée.
À 15h24, les services médicaux de l’opposition annoncent que plus de 60 civils auraient été tués par balle.
À la même heure, les sites de CNN et du Monde annoncent 100 morts et 500 blessés (source médicale du centre de Kiev).
À 16h04, le ministère de l’Intérieur annonce 67 policiers enlevés par les manifestants.
À 17h13, le service de médecine judiciaire dénombre 67 cadavres de plus (tous des opposants).
À 21h36, le ministère ukrainien de la Santé annonce 75 morts depuis mardi.
J’ouvre ce journal comme j’ouvrirais une parenthèse, par crainte d’oublier, par nécessité d’écrire, par peur de n’être plus qu’un compagnon et un père, par souci de témoigner d’une expérience, de garder une trace de ce moment si particulier, avec (puisque je m’arrête de travailler six mois ou un an pour les « éduquer ») ce sentiment partagé (mélange de désir et de crainte) de léguer à mes enfants qui ne lisent pas encore ce que leur père a ressenti quand ils étaient encore dans leur petite enfance, ce qu’il a, au plus près du réel (là où on se cogne) et à hauteur d’homme, ressenti et observé – émotions, impressions, joies, peurs, vertiges, fissures compris – ce qu’il y avait parfois derrière ses yeux brûlés par la fatigue, ses coups de sang, ses silences ou ses photos et enfin ce qui se passait au même moment à quelques mètres de la maison ou à plusieurs centaines de kilomètres.
Le merle s’est posé sur le fil électrique, noir, tressé, horizontal, qui fait face à la fenêtre de notre chambre ; en mode mains libres il débute son concert en compagnie d’un autre soliste ; si celui-ci est invisible à nos yeux on peut néanmoins l’entendre répondre à celui-là, en cadence et note pour note.
Les gazouillis, la voix fluette, les premiers dialogues avec Lapetite : un chant ancien, une ritournelle sans langage, la couleur des voyelles.
À Paris, le Carreau du Temple, ancien marché couvert qui avait accueilli les Templiers, un cimetière médiéval, un marché aux fripes, et récemment transformé en espace polyvalent, rouvre ses portes.
vendredi 21 février 2014
« Il est vraiment étrange que, moi qui me moque du patinage comme de je ne sais quoi, à peine je ferme les yeux, je vois une immense patinoire.
Et avec quelle ardeur je patine ! »
(Henri Michaux, “Le Sportif au lit”, in La Nuit remue, Gallimard, 1935)
À Bari, dans le Sud de l’Italie, une femme de ménage jette à la poubelle des bouts de papier, du carton et des miettes de biscuits. Le lendemain, les agents de la galerie d’art s’aperçoivent que l’oeuvre de l’artiste new-yorkais Paul Branca, estimée à 10.000 euros, manque à l’appel. Du carton c’est ce qu’utilisent les militants de l’Armée des partisans (avec de la tôle et du bois) pour renforcer leurs barricades sur le Maïdan. Sur ce, business is business, dead or alive, l’agence d’évaluation financière Standard & Poor’s abaisse la note de l’Ukraine. Pendant ce temps ça négocie sec chez Ianoukovitch qui, à 11h55, annonce une présidentielle anticipée, il lance également le processus de retour à la Constitution de 2004 qui réduit les pouvoirs présidentiels au profit du gouvernement et du Parlement et informe que va être formé un gouvernement d’unité nationale. À 14h16, l’opposition accepte de signer un accord avec le président ukrainien. L’infirmière qui hier était en train de mourir choisit ce moment pour annoncer sur Twitter qu’elle est en vie (2764 retweets et 1813 favoris). Une demi-heure plus tard, l’opposition et le président ukrainien signent un accord de sortie de crise.
Les Jeux Olympiques de Sotchi. Sans télé pas d’images. Reste Internet mais la bande passante ici est si faible en ce moment que j’arrive à peine à écouter nova sur l’ordinateur, alors les vidéos n’en parlons même pas. Je me contente des articles que je peux trouver ici et là mais tout ça me laisse assez indifférent. En soutien à cet événement médiatico-sportif je relis Henri Michaux, écoute l’album No sport de Rodolphe Burger, joue au ballon avec Legrand, monte et descends les escaliers, Lapetite contre moi, regarde le vélo prendre l’eau ou vide la ville de ses corps en mouvement en attendant de pouvoir me baigner à nouveau un jour dans la mer ou l’océan.
Oublier trahir puis disparaître est le titre du nouveau livre de Camille de Toledo, à la fois conte et roman fragmenté, essai et poème en vers libres dans lequel un homme et un enfant, qui ne parlent pas la même langue, font un drôle de voyage en train. Ils viennent de quitter le XXe siècle et se dirigent vers le XXIe. Mais avant cela il faudra apprendre à se défaire du poids de l’Histoire, des tragédies enfantées par le siècle passé et du sentiment de culpabilité. Ce texte sur la transmission et la filiation à partir de l’oubli et de l’abandon est également le premier livre imprimé à être entré dans la maison du sentier via la boîte verte nouvellement posée à la fin du mois de décembre, un livre offert par V.
« No sport, ever… Du sport non jamais surtout pas. Du transport, oui c’est ça… »
(Rodolphe Burger, Ski-Doo)
Carnet de notes d’un congé parental d’éducation qui a débuté le 15 février 2014, publication légèrement décalée dans le temps.
écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne
et dernière modification le dimanche 18 mai 2014