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ecce homo
Si j’avais laissé faire mon pigeon voyageur, il ne se serait jamais arrêté de les foudroyer - pas désirés - et de les entasser à la vitesse de l’éclair sur son aile droite (plus de cinq cents par mois). Vertige des nombres et de l’accumulation. Gras sur la page. Oublier cette saleté. Plus de traces. Aujourd’hui je continuerais encore de dégommer cette tache sinistre si je.
Lors des premiers essayages, je me souviens de les avoir parcourus mais des lustres depuis que je ne les lisais plus – rengaine aux couplet-refrain toujours pareils – préférant même les ignorer, tous ceux-là qui m’avaient fait croire un instant que des corps ailleurs pensaient à moi alors que non : cheval de Troie, force centrifuge, arrosage automatique.
Tous ceux-là, sans chercher à savoir pourquoi, un soir j’ai décidé de les garder, de les prendre pour ce qu’ils étaient devenus : de la matière à pénétrer la bascule de nos journuit de consommateurs, de l’argile en chiffr&lettr&sigle, une substance vide de sens, des mo(r)ts pas nés pour finir là mais domptés par les esclavagistes du commarketing.
Des corps devenus étrangers.
Ces corps, parce que soudain devenus inoffensifs puisque indésirables, sans plus d’effets, nus, dépouillés, sans vie ou presque car détournés de leur route, je me suis mis à les aligner, à les copier-coller, à les traduire, à les mélanger, à les couper, à les désénerver, à les opposer ou à les juxtaposer si bien qu’à la fin je ne savais plus qui était qui, ce qui revenait au même à première vue puisque inconnus de moi en général – sauf une fois ou deux.
Corps pluriels, ils ont rejoint ces autres morceaux de moi disséminés dans le coffre des déguisements, ces corps nés de parents inconnus, ces corps qu’on abandonne aux sans identités fixes, ces corps que je ne retrouve pas toujours à force d’être non pas plusieurs mais plein de vies (Il n’est pas de trop en l’autre. Il est de trop en nous [1]), ces corps aux pas de danse approximatifs, ces je-suis-ne-suis-pas, ces je-ne-serai-plus-en-tout-cas-cette-chose-est-sûre, tous ces corps soudain arrêtés, contraints, figés, désœuvrés, devenus immobiles par la force des gestes, ces corps sans plus de mouvements que ceux qu’offrent sons et lumières du dehors, vitesse de connexion et langues belles de travers, tous ces flux de nous qui traversent rideau, paravent et filtre pour trouver une cadence on ne sait où et par fragments.
Là, j’ai repensé à cet autre messager qui s’était avancé, celui-là même qui portait couronne d’épines et manteau de pourpre, ecce homo avait dit l’un, indésirable avait-on répondu, avant d’en faire ce qu’on sait : des récits entrebâillés, des fables à la marge, une des fentes multiples de ce monde.
Tous mes corps ont repris leur souffle. Rien n’était donc encore perdu.
écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne
et dernière modification le mardi 21 septembre 2010