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Laurent Herrou | 11 septembre 2003
Ce n’était pas prévu. Même je me disais : gardons ça pour demain matin. Je sortais du boulot, dix-sept heures, j’avais passé un télémessage à Jean-Pierre disant que j’étais nase. Je savais que j’allais vérifier le courrier, je ne pensais pas me connecter sur AOL. Je me suis déshabillé – et une fois nu…
Je me suis dit que j’étais crevé, que ça allait me détendre. Je me suis connecté, j’ai échangé ma photo contre la photo de gars en ligne. Qui ont répondu, ou pas, je m’en foutais, il fallait que je jouisse. Je bandais. Je branlais. J’ai déconnecté, je me suis allongé sur le lit, j’ai craché le jus. Vite. 18:12 sur le radioréveil, Jean-Pierre était sorti de l’école et en route vers moi. Ça n’avait pas de rapport, la branle et Jean-Pierre mais… Ne pas être à poil plein de sperme au moment où il pousserait la porte. Pas sympa – même si à moi, ça me faisait du bien. Un bien simple, liquide. Expulsé.
18:26, et j’ai eu le temps de prendre une douche, de me laver les cheveux au savon de Marseille. Ne pas les agresser avec leur merde de shampoing industriel – un truc de Carlos à Paris. Le savon de Marseille qui lave en profondeur sans faire mousser la fibre, sans adoucir, certes. Mes cheveux sont fortifiés, c’est sûr. Carlos disait qu’il ne perdait pas ses cheveux, que c’était à cause du savon de Marseille : il les porte longs, en queue de cheval. Il ressemble à Demis Roussos, barbe et chevelure grise, attachée. Un bel homme que ce Carlos, ce coiffeur, ce sculpteur, ce crétois. Carlos – une pensée soudaine, à cause du shampoing, des cheveux propres, en mèches devant mon visage.
Au courrier, il y a une lettre de H&O pour Jean-Pierre.
E-mail : rien, véritablement. Des amis, des mots, des énervements (Thomas contre la Poste), et une impossibilité (Emily de passage demain pour la journée, qui vient récupérer ses filles, reprend l’avion samedi pour Londres). J’ai déjeuné avec Joe et Mag, on a parlé du livre bien entendu. Elles étaient impatientes, la sortie toute proche.
Novembre ?!!!!
Filles. Femmes. Enceintes, toutes deux. Médecins.
Dans le fauteuil bleu, le salon, face à la fenêtre ouverte, la ville nuageuse. 18:31.
Maintenant que la branle est accomplie, la hâte que Jean-Pierre arrive. Et ouvre son courrier. J’ai acheté un panettone pour demain matin, et des bonbons Golia pour mettre dans sa voiture. Des cerises amarena pour moi. Marie m’a prêté le DVD des Liaisons dangereuses, Stephen Frears. Et le dernier Beigbeder. J’ai emprunté le Darrieussecq, et le Claudel. Je poursuis Eugenides ; j’ai commencé Olivier Rohé, mais n’ai pas continué pour le moment. Séverine a demandé comment c’était (elle n’avait pas été emballée, avait emprunté le livre sur mes conseils, avait feuilleté, ne le sentait pas), j’ai répondu un : très bien exagéré. Je ne sais pas si c’est très bien, je sais qu’il y a des livres que j’ai envie d’aimer, de façon spontanée.
Michel Zumkir aussi est dans les bases de données de la Fnac avec son deuxième titre. Je n’ai pas vérifié Dustan, le numéro 14 d’Ecritures. La date de parution. Femme qui marche en novembre, et un courrier de H&O pour Jean-Pierre. Les épreuves à suivre.
À la maison, dans l’attente de Jean-Pierre. Position tendue sur le fauteuil, buste en avant, la table rouge qui penche à gauche, il faudra que je la redresse, ce défaut me perturbe, il modifie la vision de l’écran : j’ai le sentiment de pencher moi aussi, à gauche. Ça me trouble.
Mon journal.
C’est mon journal.
Quel intérêt a-t-il, au fond ? Quel intérêt ? La mort là-dessus, et des centaines de pages, ma vie. Pour quoi ?
Un journal.
Il y a ceux qui tiennent un journal, et il y a les écrivains. Je fais partie de la seconde catégorie.
« Je, soussigné, Jean-Pierre P., demeurant xxxxxxxx 06000 Nice autorise les éditions H&O sises 65 bis rue Victor Hugo 34500 Béziers à utiliser, à titre gracieux et non-exclusif, l’une de mes photographies (feuille morte) comme illustration de couverture du roman de Laurent Herrou Femme qui marche et dans tous les documents promotionnels afférents, et ce, pour toute la durée de vie de l’ouvrage, selon le contrat d’édition signé entre l’auteur et l’éditeur. En contrepartie, il a été convenu que je recevrai 15 exemplaires dudit ouvrage. »
_résidence Laurent Herrou | Avant | 11 septembre 2003
écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne
et dernière modification le samedi 2 novembre 2013