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Laurent Herrou | 9 septembre 2003
Il n’est pas dix heures, j’ai fait vite.
J’ai récupéré le portable chez Françoise hier soir, que Jean-Pierre a déposé en rentrant à la maison sur la table Habitat qu’il m’avait offerte pendant ma convalescence – mon “cadeau-patience”. Le portable blanc est beaucoup plus petit que le sien (17 pouces), c’est amusant de le retrouver et de le trouver aussi petit, aussi mignon. Il me correspond mieux, je crois : après avoir trimballé le 17 pouces dans toute la France cet été, je n’aurai plus aucun mal à m’encombrer de mon portable pour aller écrire dans les cafés. Reste à trouver des cafés susceptibles de m’accueillir, et où je puisse être tranquille. Penser à Hubert Colas (pensée plus ou moins omniprésente ce mois-ci) me renvoie à Marseille, au petit café en étage sur la rive droite du port. La Galerne ? Jean-Pierre et moi y avions bu un verre, avant de monter au Panier pour un spectacle de danse, il y a plusieurs étés ; c’est une fille de la Fnac Bourse que j’avais rencontrée lors d’une formation qui m’y avait emmené – avec les autres. Je m’étais dit qu’il y avait quand même des coins à Marseille qui me séduisaient : de fil en aiguille je découvrais des restaurants, des cinés, des endroits de ballade. Il m’avait semblé un moment que vivre à Marseille, finalement, pourrait me plaire.
Mais l’été, la chaleur… N’y revenons pas.
Je pourrais aller écrire le journal au café, je pourrais prendre une nouvelle habitude, qui me sortirait de mes sales manies (culpabilité, tss tss…) matinales. Je pourrais établir une nouvelle routine, qui me détournerait de l’échange de photos sur internet. J’ai réutilisé celles d’hier ce matin, je n’avais pas envie d’en faire d’autres. Mon visage, très visible, je me suis dit que j’étais dingue peut-être. J’imaginais… Mais je ne suis pas célèbre, et les écrivains ne font pas vendre les magazines de merde. Les seins de Laurence Ferrari, oui – qui voudrait voir ma queue ? Je n’avais pas envie de faire d’autres photos, j’ai retrouvé les anciennes dans le courrier supprimé, l’archivage d’AOL est tel que ce que l’on supprime ici peut se retrouver là. C’est pratique certains jours – la preuve… J’ai joui, c’est une chose faite. La douleur dans mon ventre en pesanteur nauséeuse, je me demande ce que je n’ai pas digéré. Je me demande ce qui ne va pas, Jean-Pierre en sortant de chez Françoise a dit : c’est la reprise du boulot.
Oui, peut-être.
J’ai répondu que c’était complètement con, quand même, d’être stressé même avant de reprendre. Il a hoché la tête. Il était d’accord. Ce matin, il a demandé si H&O avait finalisé la couverture, si c’était sûr à présent. Je lui ai dit qu’Henri envoyait un formulaire pour qu’il le signe, il a répondu : mais tu ne me dis rien ! J’ai ri. Ça t’intéresse, alors ? j’ai lancé. Je crois qu’il prend petit à petit la mesure de son geste : sa photographie sur ma couverture, la première fois qu’il sera : publié.
Ça se fête, oui.
Je voudrais avoir le livre entre les mains – mais il y a les épreuves à corriger avant cela. Je ne tiens plus, je voudrais qu’il y ait à présent un e-mail de Henri disant qu’il m’envoie les épreuves. Qu’il m’envoie les comics de Patrick Fillion aussi – mais ça n’a rien à voir. Restons sur la littérature : j’ai hâte, maintenant, que le livre soit fabriqué. Non pas qu’il sorte, ce sera l’étape suivant : mais qu’il existe. L’avoir en mains. Le signer, l’envoyer. L’offrir.
Les premiers exemplaires de Femme qui marche.
J’ai hâte maintenant.
Ça me tue, quand même, que l’on ne reçoive rien au courrier. Mais rien : hier, Le Monde, du moins une pub pour s’abonner au Monde. Aujourd’hui une pub pour un magasin de lunettes. Franchement, la pub, moi ça me bouffe la vie. Dans la télé, les pages interminables de publicité. Sur internet, les pop-ups et le spam. Maintenant la boîte aux lettres, qu’il faut trier pour voir ce qu’il y a d’intéressant. Rien. On part en vacances quinze jours, on revient : une carte postale, deux factures, deux magazines auxquels on est abonné. Dix pubs. À nos noms. Moi, savoir que mon nom est placé au hasard sur une enveloppe dont je n’ai rien à foutre, ça me fout en rogne : je ne lis pas Le Monde (je devrais ?), je ne porte pas de lunettes, Jean-Pierre non plus.
La dette du Tiers-Monde ? Couper les vivres aux budgets communication des boîtes et ramasser le blé qu’ils perdent en paperasses inutiles. Faites des trucs, merde ! Ayez des idées, arrêtez.
Petite voix : tu seras content quand on fera de la pub pour Femme qui marche.
Oui.
Oui, bien sûr.
Et merde…
Écritures n°14 : Dustan + engagement.
Michel m’a demandé à Paris si j’avais eu de leurs nouvelles, s’ils m’avaient contacté – non. Il m’a révélé que Dustan avait demandé qu’aucun auteur du Rayon n’y paraisse. J’ai visité le site d’Écritures, le contenu donné. Du numéro 14. Les noms. Adely, Angot, Py, Despentes, Millet, Bret Easton Ellis. Combien d’autres ? Un peu dégoûté, un peu déçu. Un peu mal à l’aise, très curieux. Je me dis : Triangul’ère, des cons. Et Écritures : vers quoi se dirigent-ils ? Le site promet la prochaine mise en ligne de tous les textes qui ont composé la revue.
Soudain, je n’ai pas envie de cette publication-là.
21:05.
Retrouver le portable, la frappe sur le portable. Le soir, seul à la maison. Jean-Pierre à S.I.S. Martine Topley-Bird sur la B&O, vingt et une heures six minutes. Je suis dans le salon, dans un fauteuil refait à neuf. Le portable sur la table Habitat, qui vient jusqu’à moi, calé à l’intérieur du fauteuil en velours bleu. Le son de la B&O, j’ai mis trop fort – mais je vais m’y habituer. Comme aux retrouvailles avec les touches du clavier blanc. Plat. Cela change de l’iMac.
Nouvelles habitudes – ce que je voulais.
Un nouveau lieu pour l’écriture du journal. Pour l’écriture tout court. Multiplier les expériences. Les possibilités. Être ailleurs, être à la fois ici et dans la chambre. Disque dur multiple – le mien.
Je reprends le travail demain. Étrangement, j’en suis heureux. J’ai été angoissé ces trois derniers jours, mais à la minute où le médecin a dit que c’était bien pour le bras, la reprise du travail, et que j’ai dit que j’avais eu deux mois de vacances, que ça allait, je me suis tout de suite senti mieux. Déculpabilisé sans doute. Libéré. Je reprends le travail, demain matin, neuf heures, Anne a demandé si je pouvais venir une heure plus tôt, pour que l’on fasse le point, que l’on range ensemble. Elle a proposé : tu partiras plus tôt. J’ai accepté. Anciennes habitudes, j’ai regardé le planning, je me suis dit qu’il valait mieux que je fasse ma journée entière demain, parce que Bernard finissait aussi à dix-huit heures. Après je me suis dit qu’Anne avait dit : tu partiras plus tôt… Qu’elle était le chef d’équipe, que c’était à elle de penser aux plannings, pas à moi. Plus à moi. Jean-Pierre a dit : tu verras, quand elle te dira que tu n’es pas augmenté cette année non plus à cause de ton arrêt-maladie. J’ai souri, j’ai dit que je m’y attendais, que c’est pour cela que je ne me mouillerais plus autant qu’avant. Il a répondu : tu me raconteras demain… Il était dubitatif. Je veux croire en moi, ma nouvelle indépendance. Chacun pour soi. Et moi : pour moi. Travailler pour moi.
Travailler pour moi.
Mon livre sort en fin d’année, je n’ai pas encore de date précise même si je dis novembre à qui me pose la question. En vérité je n’en sais rien encore.
J’ai changé de kiné aussi. Ce soir. J’en reviens, il m’a pris à dix-neuf heures trente, sur son planning, en fait on a commencé à huit heures. Et j’ai eu le sentiment immédiat que le bras, que le coude, le reconnaissait, acceptait ses mains. Ses manipulations. Il m’a expliqué ce qu’il faisait, sa façon de travailler. Il m’a conseillé, et m’a écouté. Gérard a voulu lui aussi, quand je suis passé cet après-midi, il a dit : venez, monsieur Herrou, amusé, j’ai répondu que je venais le régler, que c’était fini. Il a noté que l’on n’avait pas terminé la prescription médicale, j’ai répondu que j’en avais conscience mais que je reprenais le travail demain. S’il avait insisté j’aurais dit que je changeais de lieu. Il a dit : c’est Catherine qui s’est occupée de toi, reviens la voir, tu règleras avec elle. Fini le vouvoiement, même de copinage. J’ai opiné et je suis parti. J’ai bien fait : j’ai bossé avec un nouveau kiné, ce soir, pendant près d’une heure. Le nouveau prénom est Pascal. Il parle beaucoup. Il écoute aussi. Il est sympathique et son cabinet est clean. Il me regarde dans les yeux. Est-il séduisant ? De prime abord, je dirais non, mais sans doute davantage que Gérard et Catherine réunis. Catherine était sympathique, mais ce n’est pas suffisant.
Pascal a tiré sur le bras, il a dit : l’extension, on y est presque. Ne manquera que l’hyper-extension, on va travailler dessus. Il a dit : la flexion, il y a du boulot, mais ça vient. Première séance et ça vient déjà. Il y avait une tache de crème blanche, celle qu’il avait utilisée pour chauffer le coude, sur mon jeans, au niveau de l’aine, que j’ai remarquée quand il m’a laissé seul avec une serviette chaude autour de l’articulation, ça m’a fait sourire, j’ai essuyé le liquide blanc dans le sopalin qui sous-tendait mon bras, j’ai eu les pensées que l’on peut s’attendre que j’aie.
21:21.
Écrire sur le portable, sentir que le rythme n’y est pas encore, penser que la musique en est cause, et la nouvelle position dans le fauteuil bleu, sur la table rouge, savoir que cela va venir, comme l’hyper-extension, ou la flexion du coude. Avoir confiance.
_résidence Laurent Herrou | Avant | 9 septembre 2003
écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne
et dernière modification le jeudi 31 octobre 2013