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Laurent Herrou | 6 septembre 2003
J’ai vérifié l’heure du rendez-vous avec le médecin, et me suis rendu compte que c’était le 9, pas le 10. Rendez-vous mardi 9 à 14h30. Hier Catherine a dit que si j’avais quinze jours de plus d’arrêt, ça ne pouvait pas me faire de mal dans la mesure où dès la reprise, il me serait plus difficile de faire la rééducation. Ce matin j’ai montré à Jean-Pierre que soulever une bouteille d’eau pleine jusqu’à ma bouche avec le bras gauche m’était encore difficile – voire douloureux : j’ai un peu forcé hier chez le kiné, et eu mal cette nuit. J’essaie de ne pas penser de manière négative, je veux dire : je ne veux pas penser à un prolongement de l’arrêt de travail, je voudrais que cela vienne spontanément. Ou pas. Mais que le médecin décide, qu’il voie. Il me posera des questions, peut-être. Je ne sais pas ce que je veux, au fond.
Emmerder le Fnac, oui, bien entendu. Je leur fais payer. À mes frais – mais ils morflent (morflent-ils véritablement ?). Françoise se tape le boulot des deux rayons pour la rentrée universitaire, après tout, c’est son problème si elle ne pète pas les plombs pour se faire aider davantage. Chez Séverine, le soir du barbecue, elle s’est insurgée sur le fait que je faisais partie de l’autre équipe, depuis les changements de planning. Suivant l’équipe à laquelle on appartient on a maintenant, et pendant le mois en cours, soit un samedi off, soit un lundi off. Marie, Séverine et Françoise sont dans la même équipe, moi je suis avec les autres. Françoise s’est insurgée, elle a dit qu’elle en parlerait à Anne, elle est montée sur ses grands chevaux. Le lendemain je déjeunais avec Séverine (ou le surlendemain) : bien entendu Françoise n’avait rien dit, et Séverine non plus – ni à Anne, ni à Françoise. J’ai dit à Séverine qu’au fond je m’en foutais. Je m’en fous : avec ou sans elles, c’est la Fnac, le boulot. C’est emmerdant de la même façon que la Fnac m’emmerde. J’ai croisé le directeur, qui m’a demandé si ça allait mieux, sourire narquois, petite voix à la con, classique. J’ai répondu à l’identique, narquois, cynique, ahuri. Je n’ai pas vu Anne cette fois-là. Mais là encore, je me fous de voir Anne.
Emmerder la Fnac, oui, bien sûr : qu’ils galèrent sans moi. Qu’ils s’emmerdent à leur tour. Je sais qu’à la minute où je reviendrai, il n’y aura aucune aide à attendre de personne. Je n’ai pas d’amis. Je n’en ai d’ailleurs pas besoin.
La Fnac, qui occupe à nouveau de la place dans mon journal, à quelques jours de la reprise. Évidemment. J’ai vérifié le rendez-vous avec le médecin, j’ai rendez-vous le 9. Mardi. C’est-à-dire que dans le pire des cas (“pire” entre guillemets), je reprendrai mercredi. C’est-à-dire aussi, et je m’en plaignais auprès de Jean-Pierre, que je ne peux pas déjeuner mardi avec Joe – ce qui est mieux, elle m’aurait culpabilisé sur ma bonne santé, et mon arrêt de travail, qui me disait-elle, faisait rire tout le monde (elle parlait des médecins autour d’elle). Je ne comprends pas pourquoi la Médecine se fout de moi. Je suppose que j’aurais dû crever à Villequiers : là peut-être y aurait-il eu une chance pour que quelqu’un se dise que je ne l’avais pas fait exprès !
Amer.
Énervé, peut-être…
On a regardé La tempête du siècle, d’après Stephen King, hier soir, ça m’a fait penser à Dogville. On a regardé La tempête du siècle, je me suis dit que j’aimais bien, quand même, les idées de Stephen King. Je me rappelais un titre, où il était question de moineaux, des psychopompes. Quelque chose des Ténèbres (le titre). Anne de la Star Academy fait partie des trois premiers nominés à gicler la semaine prochaine. Je n’aurai pas le temps d’approfondir ma relation trouble avec ce visage qui m’est à la fois connu et inconnu. L’emprise des ténèbres ? Je ne crois pas. Je me disais que j’aimais bien l’écriture de King, que je n’avais d’ailleurs jamais lu en anglais, juste des traductions, adolescent. J’avance bien le Eugenides, je trouve ça très, très bien, très marrant, très rare. Intelligent, mieux : fin. Et brillant. Revenir à King, oui : je me disais que j’aimerais bien, moi aussi, écrire autant qu’un auteur comme King, écrire autant, écrire pareil peut-être, développer des idées, des personnages, libérer enfin mon imaginaire. Mes rêves de la nuit dernière : affreux. Villequiers, et puis des cadavres, des momies, des squelettes de créatures démoniaques, monstrueuses, qui se réveillaient lorsque je pénétrais dans la chambre froide (le musée ?) qui les conservait. L’un d’entre eux (une sorte de mammouth à corps humain, du moins son squelette, ou son écorché, ce n’était pas précis, allongé sur une table de dissection) faisait aller sa main gauche de bas en haut, pouce tendu, vers le milieu de son ventre, je croyais d’abord qu’il me faisait un signe du pouce, une sorte de ok, le geste de l’auto-stoppeur, je réalisais vite que le mouvement de va-et-vient mimait la masturbation. M’accusait. Ça m’a renvoyé à La tempête du siècle, je me demandais si le Diable me prendrait parce que j’avais une activité onaniste quotidienne, solitaire, abusive, adultère. Le squelette ne remuait rien d’autre que cette main obscène, au milieu du corps. Je suis sorti de la chambre froide. Ensuite il y avait des véhicules, dont un seul était habitable – les autres contenaient des charniers. Il ne fallait pas se tromper. Il y avait une prise d’otages aussi, dans l’un de ces véhicules, et un blessé (une ?) : je devais faire vite, je ne savais pas quoi. Donner l’alerte ou ne pas compromettre la vie des otages ? Le paysage changeait, une sorte de baie sur la mer, quelque chose d’italien, ou de grec, magnifique. J’avais faim. Je ne me souviens pas des détails, je ne me souviens, du moins, que des détails, mais l’histoire dans son ensemble m’échappe. J’avais envie de me relever, au moment où l’on s’est couché, je me disais qu’il faudrait que je travaille, que j’écrive.
Hier j’ai failli jeter les boîtes aux lettres électroniques. M’en débarrasser. Mais je me masturbe, je me masturbe souvent, je sais que j’en aurai besoin, encore, dans le futur. Je ne dois rien détruire, ne rien compromettre là encore. C’est ma soupape, ma sécurité. Il y a un rapport entre le rêve et ce que j’écris maintenant, j’en ai conscience – même si je ne mets pas exactement le doigt sur le rapport. Je le ressens, le flaire. Il est là, à portée d’esprit.
Je voudrais écrire davantage.
Je pourrais écrire davantage.
Henri a changé le mot « second », du « second roman » de ma note biographique, il a dit que « deuxième » convenait mieux, il a écrit que sinon, on pourrait croire qu’il n’y aurait pas de troisième roman. J’ai voulu voir un encouragement, une confiance. Mais ce n’est juste qu’un mot à la place d’un autre.
J’ai imprimé les trente-cinq pages de L’enfant (J3L), les ai relues. Ne suis pas sûr de moi. Jean-Pierre sourit, il dit : ça t’étonne ? Je dis que je trouve ça triste, déprimant, sinistre, il répond que c’est rarement drôle, ce que j’écris. Est-ce que ça me rassure ?
Samedi après-midi, il n’y avait pas d’e-mail et, au courrier, le contrat de la mairie de Saint-Laurent du Var pour mes interventions du 11 décembre (une carte postale de Lane et Renée aussi).
On écoute K.D.Lang, copies pour Cécile et Florence. Je crois que j’aime les lesbiennes.
_résidence Laurent Herrou | Avant | 6 septembre 2003
écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne
et dernière modification le lundi 28 octobre 2013