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Laurent Herrou | 5 septembre 2003

J’ai été réveillé, au milieu de la nuit (ou plus tôt que cela : vers une heure et demie, on s’était couché à onze heures), par une douleur dans l’estomac qui augmentait d’intensité minute après minute, je me suis projeté une heure plus tard, suppliant pour que les secours arrivent, le SAMU, me tordant de douleur, la panique. Je me suis levé, mon ventre était dur, mais pas complètement, il m’était arrivé de me réveiller bien plus mal – seulement ça faisait longtemps. J’ai récapitulé mes repas d’hier, je n’ai trouvé comme explication que la possibilité que l’un des deux œufs que j’avais mangés hier soir n’ait pas été frais. J’ai pris un Lexomil dans la trousse de toilettes, je savais qu’un Dafalgan ne me ferait rien, je ne voulais pas d’un Diantalvic, je n’avais plus de Spasfon, ni de pastilles Rennie, et Joe m’avait dit que dans ces moments-là, c’était l’angoisse qui accroissait la douleur. J’ai placé le quart de Lexomil sous la langue, je me suis assis devant la télé, j’ai zappé les chaînes : il y avait Chopper, un film sur un tueur en série australien que je ne voulais pas regarder, et Esther Kahn sur la 3, mais en français. J’avais décidé de mettre la musique du film sur la B&O ce matin, en me levant, mais c’est à peine à présent que cela me revient. Je pourrais le faire, mais j’ai la flemme de quitter le bureau.
Finalement j’ai dormi le reste de la nuit plutôt normalement. Au café ce matin, il y avait Stéphane, le barbu, son père, et son plus jeune frère, qui n’a pas vingt ans je pense, aussi il y aurait une différence d’âge phénoménale entre Stéphane et son frère – mais Stéphane est peut-être plus jeune que moi. J’ai toujours cette impression d’être plus jeune que tout le monde, le bébé de l’histoire. Mais non : je vieillis, même si ça ne se voit pas. Françoise a dit à propos de la photo sur la quatrième de couverture que j’étais vachement beau ; Jean-Pierre ne cesse pas de s’extasier sur la qualité de son tirage, les contrastes autour de mon visage. Il dit : tu as même l’air coiffé ! C’est un compliment. Stéphane est arrivé le premier, d’habitude c’est son père avec son foutu portable qui s’installe d’abord : il m’a serré la main, sa question (comment allez-vous ?) appelait une discussion plus longue, parce qu’il était seul pour une fois, mais je n’ai pas saisi l’opportunité, et je l’ai laissé filer. Je ne veux pas m’intéresser aux hommes qui ne m’apporteront rien ensuite, que des problèmes. Je ne veux pas m’intéresser aux hommes du tout. J’aime Jean-Pierre, ça devrait me suffire. Je crois même que cela me suffit, que mon intérêt pour les autres hommes n’est que le fruit de mes fantasmes, un fantasme que j’entretiens quotidiennement. J’ai dit à Françoise que lorsque je passais à l’acte, j’étais systématiquement déçu. Et que finalement, il ne se passait rien du tout.
J’ai l’illusion de croire que je ne vais pas connecter internet. Ou du moins juste regarder le courrier sage – je voudrais un e-mail de Poppy Z. Brite. J’ai cette illusion de penser que je suis capable d’oublier internet, du moins de ne pas en avoir besoin. J’ai aussi la lucidité de savoir que même si je vais être déçu, je ne vais pas pouvoir faire autrement que me connecter. Me branler sans doute. Me maudire un peu. Et puis penser à autre chose.
Au livre.
À la couverture.
À Femme qui marche.
Aux épreuves que je vais maintenant attendre avec impatience, espérant pouvoir les travailler rapidement. Il me reste une semaine d’arrêt de travail, je vois le médecin le 10. Les autres pensent que je ne devrais pas reprendre – mais qu’en savent-ils ? Il me reste une semaine d’arrêt de travail, c’est comme si c’était en fait terminé. Je dis à tout le monde que je n’ai pas peur de reprendre le travail, que j’ai pris de la distance par rapport à la Fnac.
Je mens.

J’ai passé près de deux heures sur internet. Il est 10:45. Près de deux heures, j’ai joui finalement, péniblement. Parce qu’il le fallait. Que je ne me laissais pas en paix. J’ai joui, il est 10:45, je vais m’habiller, descendre en ville, rester en ville. Je vais faire des courses, déjeuner avec Nathalie, enchaîner avec le kiné, rester en ville. Me tenir loin de la maison. Jean-Pierre a dit hier : demain, c’est le week-end, avec une brillance dans l’œil, le plaisir.
Demain c’est le week-end, c’est bien pour moi. Et le 10, le médecin. La fin de l’arrêt de travail. La reprise. C’est bien pour moi.


_résidence Laurent Herrou | Avant | 5 septembre 2003

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le dimanche 27 octobre 2013