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Laurent Herrou | Avant | 12 août 2003

Rien.
Dans la boîte aux lettres : rien.
E-mail : pas grand chose. Arnaud écrit : « want you. » Thomas envoie un fichier joint « pour passer un bon moment » mais AOL me déconnecte avant que je puisse télécharger – et il y a des chances de toute façon que je ne puisse pas ouvrir le document. Stéphane Nannini des éditions de l’Ampoule demande que je lui passe un coup de fil pour nous mettre d’accord sur la date à laquelle je vais venir récupérer Vice de forme. Pas grand-chose, mais quand même quelque chose. Mince. J’espère qu’il y aura un commentaire, un mot échangé, mais ce sera peut-être (sans doute) uniquement : voilà ! Une fois le manuscrit remis entre mes mains. J’attends des choses. Il y a un éditeur qui publie mon prochain roman, qui n’est pas mon nouveau roman, qui n’est pas un nouveau roman, qui est un texte que j’ai commencé d’écrire en 1999, terminé en 2000, repris ensuite, 2001, ou 2002, renvoyé, refusé partout, ou presque, H&O va publier en 2003 ce Femme qui marche dont personne n’a voulu. Bien entendu, je suis content – mais. Hier soir pour m’endormir j’ai essayé de focaliser mon attention sur ça, la parution, la future parution. Puis il y a eu un bruit dans le salon, et on s’est levé, Jean-Pierre et moi, pour vérifier – sans rien trouver. Sans doute un voisin fenêtre ouverte qui avait fait tomber sa télécommande (le bruit s’apparentait à cela). Une fois recouché je ne pouvais plus me concentrer, j’attendais le prochain bruit. Pour me changer les idées je suis retourné sur le balcon, m’y suis assis, ai attendu un peu : il y avait une brise plus fraîche, et la lune, pleine. Je me suis mis à bander en pensant à la queue et aux moustaches de Phil, je me suis caressé, puis franchement branlé, mais pas jusqu’au bout. Je n’ai pas joui. Mais j’ai pu revenir au lit, me rendormir. Me branler me déstresse. Je suppose que c’est pareil pour tout le monde.
Je voudrais.
Mais ça ne sert à rien de vouloir, il faut être patient.
On est allé voir Terminator 3, avant-hier on a regardé à nouveau X-Men, en revenant de la pizzeria après le film on a regardé The one, puis Jean-Pierre a continué avec le film suivant de Jet Li, Fist of legend. Je l’ai rejoint vers minuit, je ne parvenais pas à m’endormir, la chaleur en masse collante dans le cou, sous les cheveux : le Journal du Hard a commencé après un épisode de Six feet under, et des queues énormes se sont mises à cracher sur le visage maquillé des filles. Je ne bandais pas, ça ne m’excitait pas. Ça ne m’excite plus, les films pornos hétéros ; je sais par contre que Jean-Pierre les regarde, qu’il a regardé par exemple le dernier, celui qui repassait hier soir, après le Journal du Hard, une histoire d’amazones. Moi je bande pour des mecs baraqués, musclés, monstrueux, virils.
Il y avait sur l’échafaudage en face de la fenêtre ce matin, un des ouvriers que je trouve pas mal : sur l’échafaudage en face de la fenêtre, je veux dire l’échafaudage de l’immeuble qu’ils construisent dans la rue suivante, et qui dépasse les maisons devant nous. La distance est minime, entre notre mur et cet échafaudage, je veux dire : moins d’une dizaine de mètres. Il travaillait, torse nu, ne regardait pas vers nous, on était à poil tous les deux, on prenait notre petit-déjeuner. J’ai dit à Jean-Pierre : je l’aime bien celui-là, il est massif. Plus tard on est allé au Petit Casino sur Gambetta, et le caissier était un des coiffeurs du petit salon qui fait l’angle de la rue Vernier. J’ai été surpris, je lui ai demandé s’il avait changé de métier, il a expliqué qu’il aidait ses amis pendant l’été, que le salon prenait des vacances, j’ai conclu avec cette phrase conne : bonnes vacances, alors ! Jean-Pierre en sortant a dit que j’étais prêt à tout pour engager la conversation avec tout ce qui avait une queue entre les jambes. J’ai un peu ronchonné, il ne cessait de répéter : mais tu sais que c’est vrai… J’ai fini par lancer : et alors ? Ça n’enlève rien à mes autres qualités… Il a répondu : tu as dit quoi ? Il n’avait pas entendu, j’ai dit : rien, rien, laisse tomber.
Il lit Libération dans le salon.
Je tape des mots dans le journal.
Je vais reconnecter internet, aller chercher le document joint de Thomas qui ne s’ouvrira pas. Que je ne pourrai pas lire. Puis j’attendrai un appel de Joe avec qui je déjeune. Je vais bien, même si ça ne s’entend pas.
Il faudrait que je me change les idées.

Je parle de déprime, je ne sais pas pourquoi. Je dis : je vais me coucher, il est vingt et une heures même pas trente. Jean-Pierre dit : à deux jours des vacances, tu pousses ! Je réponds que ça ira mieux vendredi. On arrive à Paris à 11h35, les filles viennent nous chercher à l’aéroport et nous partons directement vers la Bretagne. J’en ai marre d’ici, c’est incroyable comme j’en ai marre de Nice. J’ai déjeuné avec Joe, j’avais l’impression d’être un moulin à plaintes ; elle venait de se taper les vingt bornes qui la séparaient de Nice pour venir déjeuner avec moi, enceinte jusqu’aux yeux et reprenant le boulot deux heures plus tard, et moi je la saoulais avec mes jérémiades. A un moment (j’évoquais le fait que lorsque Jean-Pierre me proposait d’aller marcher, je lui répondais : où veux-tu qu’on aille ?) elle m’a repris : y’a quand même pire comme cadre de vie. Je n’ai pas argumenté, je ne sais pas comment répondre que c’est ici le pire, à mon sens. Ici, avec cette température, oui, il n’y a pas pire. Les connards à Nice, il n’y a pas pire. Dans Les artistes qu’elle avait publié lors de son séjour à la Villa Arson, Christine Angot écrivait à Claude que les gens à Nice étaient méchants avec les femmes qui avaient une poussette – c’était son cas, Léonore bébé. Elle écrivait : les vieux ici sont méchants. Ou : les vieilles (j’ai la flemme de chercher – un signe de plus de la déprime). Il faut que j’arrête ça, la déprime. Et : me plaindre.
Jean-Pierre force la télé, il y a une soirée sur la drague sur Arte, et apparemment un reportage sur les homos, ou le Marais, Jean-Pierre force le son, il dit : tu devrais venir écouter, ça te mettrait de bonne humeur, c’est sur la drague homo. Je me suis connecté sur internet dans l’après-midi, j’ai discuté avec Paul, puis échangé des photos avec un autre Paul ; puis me suis fait branché par un Joe qui avait l’air d’un gars mastoc, super épais, impressionnant. Jean-Pierre a dit : tu en as besoin tous les jours, c’est pas vrai… Il avait l’air un peu abattu de le découvrir, en même temps il ne faisait pas la gueule, juste se rendait à l’évidence. Il a lâché son ordinateur dix minutes plus tard, il a dit : tu veux qu’on fasse quelque chose ensemble ? On est allé boire un café chez André, puis on est revenu faire l’amour. Il faisait chaud à crever, la tête entres ses cuisses à lécher ses couilles, à engloutir sa queue tout en branlant la mienne, mais je ne voulais pas m’arrêter. J’ai attrapé son corps qui glissait, trempé de sueur, je l’ai serré contre moi, caressant sa chaleur humide, j’ai empoigné son ventre – à ce moment-là, c’est lui qui me branlait – j’ai dit : j’aime ta sueur, ça m’excitait comme un fou soudain, qu’il soit collant. J’ai joui jusque dans mes cheveux, en même temps que lui se vidait sur mon torse – chacun s’occupant de sa propre queue alors.
Je ne sais plus où je voulais en venir.
Jean-Pierre n’a pas envie d’emporter l’ordinateur avec lui à Paris, alors je me demande : comment faire, dix jours sans le journal ? Ensuite il revient sur ses mots, mais je commence à trouver l’idée séduisante : dix jours sans le journal. Mais Jean-Pierre revient sur ses mots, et je me dis : dix jours avec le journal. Je ne sais pas où je veux en venir, je sais que j’ai envie de jouir, tout le temps. Cela prend le pas sur tout autre désir. Toute autre décision. Même maintenant, même ce soir, même si on a joui ensemble, même si je n’ai plus rien à jouir. Je suis : curieux.
Je veux des hommes.
C’est la chaleur, oui sûrement.
Ou : la dépression – ce que j’appelais la déprime plus tôt.
J’en ai tellement marre de Nice.


_résidence Laurent Herrou | Avant | 12 août 2003

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le lundi 7 octobre 2013