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Avant | 29 mai 2003

De Olga Mesa à Anne Teresa de Keersmaeker, la danse prend une importance considérable, elle s’affirme au fond de moi. De là à envoyer un texte à l’artiste, il n’y a qu’un pas. J’en suis capable. J’en suis : particulièrement capable. Jour férié, jeudi. Un de plus. À la maison, Jean-Pierre lit le journal, je veux dire : Libération. Il faut faire attention, de plus en plus, aux mots dits, envoyés. J’ai écrit à Pierre Denan à propos du référencement à la Fnac de ses dernières parutions, c’est au moment de lui écrire, au moment précis, que je me suis rappelé que je lui avais envoyé un texte avant-hier, qu’il pourrait y avoir confusion : un prêté pour un rendu. J’ai donné le nom de Marie, du rayon Beaux-Arts, pour qu’il n’y ait pas de confusion possible, je n’ai pas parlé de mon envoi, j’étais, là, dans ce courrier-là, un messager de Marie, de la Fnac. Il sera peut-être trop tard, pour Denan, pour Closky, les nouveaux titres de M19. Peut-être. J’ai envoyé un mot, il faut se méfier des mots envoyés. Des attentes qu’ils suscitent. Jean-Pierre lit Libération, je retrouve le journal. La danse, qui prend une importance considérable. Hier je répétais à Jean-Pierre : c’est important… Ce matin il m’a encore dit combien il n’avait pas compris mon texte. J’ai répondu : ce n’est pas important… Ce n’était pas le texte qui était important, sa compréhension, mais davantage : la liberté de l’avoir écrit, et la volonté de recommencer à faire lire à Jean-Pierre. J’ai dit : il faut que nous soyons des artistes. Il faut. Il faut que nous nous affirmions comme tels. J’ai failli envoyer à Emmanuelle Pépin le texte d’hier, j’avais envoyé dans la semaine le premier chapitre de Livraison, je me suis dit qu’il fallait attendre. Les attentes que je suscite. Le téléphone qui ne sonne pas, pas de nouvelles, pas de courrier. Il faut écrire, créer, il faut à nouveau m’investir, il faut RÉELLEMENT m’investir dans l’écriture. Je me suis demandé si Christine Angot avait eu des doutes, après Vu du ciel, après Not to be, après les chiffres, les ventes, si elle avait eu des doutes, si elle s’était demandé : j’écris encore ? Si elle s’était demandé : je fais quoi ? Je me suis demandé, il lui a fallu dix ans – que s’est-il passé pendant ces dix années-là ? Sa vie, la vie, ma vie. Les attentes, les dépressions, les espoirs, rien. Rien. Rien souvent, rien : pleurer. Sécher. Durcir. Statue. Je voudrais que mon corps s’ouvre, se libère, crache ses humeurs, ses acidités, je voudrais suer mes frustrations par tous les pores, je voudrais me libérer des haines. L’attente que je suscite. Je voudrais.
Jean-Pierre dit : je ne comprends pas… Mais il m’aime, il comprend qu’il m’aime, il comprend, je pense, que lorsque je le suce et que je le lèche, le matin, au réveil, c’est lui que j’aime. C’est important. Au même titre que la danse : le corps.
Libre.


_résidence Laurent Herrou | Avant | 29 mai 2003

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le jeudi 6 juin 2013