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Avant | 23 mai 2003

Je ne veux pas parler de Rod. Je ne veux pas parler de Paul. Du roux. De Géraud. Camille Laurens cite La Rochefoucauld : « Il y a dans la jalousie plus d’amour-propre que d’amour. » J’en suis persuadé, je vais bien, je me sens bien. Je ne veux pas parler des hommes, pour ne pas avoir à me frustrer à la fin du paragraphe, et terminer sur une phrase ambiguë comme hier, par peur que Jean-Pierre ouvre le journal (phrase qui de toute façon était suffisamment troublante pour lui donner envie d’en lire davantage, de remonter le temps). La peur dont je parlais, celle qu’il lise le journal, parfois je me demande : est-ce que je n’en ai pas justement envie ? Je voudrais être capable de grandir d’un seul coup, être capable de me regarder en face, de regarder en face ma volonté, mes velléités. L’adultère et l’amour. Le sexe et les hommes. Les sentiments, le corps, leur importance. Savoir enfin, et pour moi, ce qui est important. Le portable peut sonner à tout moment, mais : je ne veux pas parler de Rod. Pas déjà, pas encore – ou pas du tout. Rod, en anglais, veut dire : la tige, la baguette, par extension, la queue. Suck my cock, suck my dick… Man, I want your rod. Your thick rod… J’ai envie au fond de parler des hommes, j’ai envie, j’ai hâte véritablement que Paul soit de retour à la Nouvelle-Orléans et que l’on reprenne ensemble les discussions, et les fantasmes. Géraud hier matin a terminé en se vexant parce que j’écrivais que je me foutais de sa vie, que je m’intéressais à lui par morceaux photographiés et excitation écrite : il m’a planté en plein milieu de ma branle, avec « je t’embrasse… merci », j’ai repris sa phrase deux ou trois fois, mais il ne répondait plus, je l’ai trouvé pathétique. Finalement je vais parler des hommes. Je me suis demandé si j’avais fait des erreurs, si un jour Géraud ne balancerait pas mes photos à la presse, avec un petit speech : voilà Laurent Herrou chez lui… Arnaud n’a pas rappelé hier matin, je me suis terminé avec un américain en ligne (ou hors ligne, je ne me rappelle plus), je me suis lavé, je suis parti au boulot sur les chapeaux de roue. Géraldine était entrée aux urgences dans la nuit, elle ne revenait pas bosser, Hélène était en repos hebdomadaire, j’ai dû assurer à la fois l’Accueil et le rayon Droit-Eco-Informatique, on n’était pas beaucoup en librairie ; dans la soirée Anne est passée, elle avait eu Géraldine au téléphone qui était arrêtée bel et bien, début du congé maternité. Anne a dit : je vais activer les choses pour embaucher au plus tôt pour le poste de l’Accueil. Et : tu passes en rayon dès demain. On le savait, on le prévoyait, ça pouvait arriver du jour au lendemain, c’est arrivé. Je suis donc l’heureux héritier du rayon Droit-Eco-Informatique : je me plaignais d’être encore à cheval sur deux rayons, voilà ! J’intègre définitivement, je prends mes fonctions : à quatorze heures cet après-midi. Il y aura : des bacs à ranger, des retours à faire, les ventes à traiter, les représentants, les autorisations de retour, faire la différence, ne pas me tromper – ou pas trop… J’ai à la fois peur et pas peur, je n’ai surtout pas envie d’avoir peur, j’ai envie d’être emballé, d’être à mon aise, d’être dans mon élément, m’adapter. Je suis capable d’ores et déjà de renseigner dans ce rayon-là, il ne m’inquiète pas outre-mesure, je sais prendre les clients en mains, les diriger, les manipuler. Irène m’a offert une rose hier après-midi, elle était bénie par Sainte-Rita, elle me porterait chance, disait-elle. Je suis revenu à la maison vers sept heures et demie, Jean-Pierre était resté là-haut, il était trop crevé pour venir me chercher, on a eu du mal à se serrer dans les bras l’un de l’autre, son portable n’arrêtait pas de sonner, problèmes à S.I.S. Ce soir : vendredi 23, le spectacle à l’école René Cassin. Il paraît que Violette est étonnante, que ce qu’elle fait avec mon texte est remarquable : elle est passée me voir à la Fnac, elle a dit : ton texte est magnifique, merci… Et : excuse-moi à l’avance si je le maltraite. Ça m’a fait sourire. Jean-Pierre m’a dit qu’il avait écrit sur le carton envoyé à Claire : « avec la participation de Violette Kazakoff », mais je doute qu’elle se déplace. Je ne l’ai pas rappelée depuis la signature.
Ce matin, chez Gallo, il y avait un type épais, qui était là hier matin déjà, tôt (on avait bu le café à sept heures ; ce matin : sept heures et demie), qui portait un tee-shirt noir avec une inscription étrange : « Dire la vérité ne m’a pas apporté que des amis. » C’était signé « Honneur », je me suis demandé si c’était un tee-shirt de la Légion, si c’était un militaire, ou un facho, je me suis posé trois questions – en même temps, il avait un beau cul large moulé dans un jeans gris, des bras musclés, une barbe très noire, un visage d’où était absent tout sourire, le genre de gars fantasmatique que j’aurais plaisir à voir se décomposer, la queue à la main, terrassé par un orgasme énorme, gémissant, le masque tombé. Je ne pouvais pas m’empêcher de le regarder, Jean-Pierre me suivait des yeux, c’était étrange, surnaturel. Ce n’était pas comme si j’allais le suivre, c’était : un fantasme, au café, et Jean-Pierre pouvait le sentir. On a fait l’amour il y a deux semaines en regardant un DVD de cul, j’ai tenté : tu comprends que j’en ai besoin ? Je voulais dire : la baise à trois, ou des queues pareilles, Jean-Pierre avait joui dans mon cul, je m’étais lavé, je revenais jouir entre ses bras, il a murmuré : chhhht ! Je l’ai peut-être déjà raconté, j’ai joui en soupirs, gémissant, moi aussi, le masque tombé à mon tour. Je voudrais une tige large, épaisse, droite, tendue, et l’homme assis sur une chaise, rigide, minéral, impassible, le poing serré sur sa hampe, dans l’attente du plaisir que je vais lui donner. Le téléphone peut sonner à tout moment ce matin, et j’ai envie de jouir, déjà. De connecter internet, de voir ce qui va se passer. Prendre les devants, ne pas attendre, ne pas me décevoir. Vivre pour moi, bon dieu ! Précipiter peut-être, de peur de…
La peur, toujours.
L’horoscope du jour parle de mes rencontres, qui viennent contrebalancer la monotonie du quotidien, me détendent. Je déjeune avec Timon ce midi, normalement. Je ne crois pas que l’on parle de cela dans Nice-Matin.

A Randy :
« wondering whether or not i’m gonna shoot it this morning
noone there
i mean : noone i’m interested in – and i cleaned up my aol-buddies lately, there were so many men not worth the fall, who would never return my words
you’re not there, or connected and busy, or sleeping, or just busy elsewhere, it’s 8:35 am here, supposably late in the u.s.
what do i want ? i wonder
sometime : muscles, sometimes : a cock
sometimes : a smile
mostly : the surprise of getting what i do not expect
a smile when i’m after a cock
or muscles when i’m after a smile
u got it all
that makes you a real good catch ;-)
trusting you »

A Paul :
« one week left for you in france – i do not call you even if i think about you, you’re busy and so am i
u said the other day : je ne lis pas mes e-mails d’ici… u meant : paris, i thought about the one i had sent to you when back in nice, frustrated by your silence
how i wish we could be back at the keyboard, u and i, trusting, sharing, telling each other many things and the fantasies i still have – and i hope : so do you…
we’ve been naked together – at some point, this idea remains to me like some unreal dream
have we been naked together, cuddling, comfortable, or was it : a parisian fantasy dream ?
i can’t wait for you to come back on what happened (and what did not happen ;-) between us
i already wish you a good trip back home in la moiteur de la nouvelle-orléans
i’ve loved your hairs, man…
i wish i could have more of them
love »

Encore sous le coup de Reservoir dogs, j’ai l’impression de parler comme eux. Je crache en jurant des Fuck ! et des Dude !, cela a à voir avec Chuck, un type que je croise en ligne (croiser = cruise, parenthèse), que je trouve magnifique, très branché sur le show off, donc je prends photo sur photo (cinq), et Géraldine appelle, on déconnecte, Chuck et moi. Je jouis après la bataille, face à son corps de rêve (trente-huit ans), me demandant s’il y aura une suite, d’autres photos plus tard, ou comme d’habitude : rien. Ce n’est pas grave. Je suis descendu en ville, le portable n’a pas sonné, j’ai déposé les chèques à la banque, total de trois cent soixante-six euros, j’ai acheté du savon liquide pour Jean-Pierre, suis passé à la Fnac emprunter le bouquin sur iDVD3 et iMovie3, pour qu’il puisse travailler demain, samedi, seul à la maison, suis allé chez Habitat, changé d’idée à propos des assiettes à pizza que je voulais acheter à ma mère pour dimanche : après un régime de deux mois, j’ai soudain réalisé que c’était malvenu. J’ai acheté des bougies parfumées, en fait du sable de bougie à la papaye et à la vanille, jaune et rouge, très joli. Rentré à la maison, rencontré Paul Laurent à qui j’ai dit ce que j’avais pensé de son travail, évitant les adjectifs que je réserve au journal, mais disant néanmoins la vérité, je suis arrivé ici, désordre, il faudrait ranger, avant ce soir, Timon va débarquer, je n’ai pas encore pris ma douche, la maison est dans un sale état, on va aller manger des pizzas dehors, pas envie autrement (s’il vient – mais pourquoi non ?), je ne sais pas encore, pour le courrier, la boîte aux lettres, quand je suis revenu de la ville, le facteur était dans la rue, je suis monté quand même, il était onze heures moins le quart, midi moins le quart maintenant, le temps de : vaisselle, douche, aspirateur, ranger, rendre Reservoir dogs à Timon, le DVD est à lui, une boucle comme je les fais si bien, de Tarantino à Tarantino, fucking great, dude, huh ?


_résidence Laurent Herrou | Avant | 23 mai 2003

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le samedi 1er juin 2013