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notes du dehors #4
quatrième note sur les métropismes hors du métro
Sous la ville, les visages se modifient, les attitudes, les gestes aussi. Sous la ville, souvent les visages se crispent, se ferment, se cachent. Sous la ville, les mains se serrent, s’activent, pianotent, cherchent dans le sac ou sur le siège d’à côté un objet rassurant, celui qui toujours vient remplacer le mamelon perdu : bruit du monde en colonnes, mots-clés non cliquables, preuve d’amour. Sous la ville, les jambes comme les mains sont jointes, la chaussette droite en veut au pied gauche de s’être trompé alors que c’est la main, la tête, les yeux, les fautifs. Sous la ville, on ricoche, on joue au billard à trois bandes, on se palais-des-glaces-fissurées, on se fait coiffer au poteau. Sous la ville, le sang comme le lait peut soudain tourner (au vinaigre) tandis que le bleu des veines cherche à baiser à l’œil. Mais sous la ville, le blanc de l’œil a l’air mauvais et ne protège plus. Sous la ville, les bras se replient, même silencieuses les voix sont trafiquées, exagérées. Sous la ville, on ne se tourne plus les pouces, on joue du pouce sur un écran. Sous la ville, on peut prier, réciter, fredonner, bourdonner, faire claquer son chewing-gum, s’excuser d’avoir à déranger les autres durant ce si paisible voyage, cette si belle journée, ces si jolies fêtes. Sous la ville, les corps se plient, les têtes se penchent, les nez plongent, les fronts se fripent, le contour des yeux se plisse. Sous la ville, la vie coule, comme soûle. Sous le dessous de la ville, le temps s’occupe d’occuper l’espace, l’espace s’occupe d’espacer le temps. Sous la ville. On n’est pas fait pour vivre sous la ville. Sous la ville, on redevient un animal mais la part animale, sous la ville, est mal assumée. Sous la ville, un cri, un bruit, un souffle. Et puis une lumière, le noir. Sous la ville, la peur. La peur de ne jamais sortir de là. La peur. D’être. Déjà. Mort. Mais sous la ville, quand les portes s’ouvrent, alors les mains s’affolent, ramassent, rassemblent, rattroupent, les jambes se déplient, s’allongent, tricotent, s’emmêlent, les bras moulinent, se décroisent, affûtent leurs coudes et les yeux, qui auront toujours une dizaine de mètres d’avance sur le torse, quittent leur poche et soudain (on se demande bien pourquoi) se mettent à briller.
_photo prise rue de Mézières à Paris le 10 décembre 2012
écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne
et dernière modification le lundi 17 décembre 2012