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notes du dehors #1

cheval-mouvement sous le Montparnasse monde
cheval-mouvement sous le Montparnasse monde

 
 
Parmi ceux qui me disent le fréquenter au moins plusieurs fois par semaine voire au quotidien, aucun n’a jamais pris le métro pour le seul plaisir de la traversée quand bien même certaines lignes seraient aériennes et leur permettraient d’admirer la ville du dessus ou de profil. Ceux-là que je rencontre, avec qui je discute et me parlent de leurs trajets, ne se baladent pas : ils se déplacent en métro.
Même si j’ai pu parler avec quelques passionnés de machines, de stations ou de lignes, quasiment jamais personne n’est monté dans un métro par attirance ou attachement. Plutôt par défaut. Par facilité, par habitude. Ou parce qu’ils n’avaient pas le choix.
Même si on peut aimer les déplacements, les mouvements, même si on peut y prendre goût, jamais aucun d’entre eux n’envisagent un trajet en métro comme ils partiraient en balade. Ils prennent le métro pour se rendre quelque part : au bureau, au musée, en cours, au cinéma, au bistrot, chez le médecin, dans une salle de sport, au resto, à un concert, parce qu’ils ont rendez-vous, pour gagner du temps ou éviter la pluie. Ils le prennent parfois avant de monter dans un train, un avion, un bateau (oui mais pas ici). Ils le prennent aussi pour rentrer chez eux quand ils ne préfèrent pas le taxi.
Seul le bus pourrait échapper à cette règle : il m’est en effet déjà arrivé de monter dans des bus pour visiter une ville que je ne connaissais pas, pour tenir compagnie à des gens qui, eux, ne le prenaient pas par plaisir. Puisque des souvenirs reviennent, je peux affirmer aussi avoir pris une fois le métro pour visiter du dessous une ville que j’avais déjà arpentée par ailleurs, Prague, pour connaître ses stations, les habitudes des voyageurs, les couleurs des fauteuils. Néanmoins, pour être sincère (si toutefois il est possible de l’être dans le geste d’écrire sans compter que la mise à la distance est déjà en soi une distorsion naturelle de l’événement vécu), il y avait un but à ce voyage : sortir du métro et errer dans un quartier que je ne connaissais pas encore, sans plan.
Tout ceci (long, bavard, inutile peut-être) pour dire qu’il ne m’est jamais arrivé à moi non plus de faire, pour le simple plaisir de la découverte, un aller et retour complet sur une même ligne – sauf une fois par étourderie. Et c’est bien parce que depuis quelques années je n’ai souvent pas d’autres choix qu’un jour de mars, à force de monter et de descendre de rames, de changer de ligne, de remonter des couloirs, je me suis retrouvé (de manière inconsciente au début) à sortir carnet, smartphone, tablette (tout ce qui me sert à prendre des notes), à (d)écrire les va-et-vient, les tensions, ce que j’entendais, voyais, n’entendais pas, espérais voir, avais cru..., à tenter de comprendre quelle part de nous résistait en haut des escaliers, n’entrait pas dans la bouche, restait à quai et quelle autre part s’y engouffrait, jouait des coudes, croisait dans la vitre ou dans les yeux d’un autre étonné ce qu’il croyait être son double et qui n’était souvent qu’un fantôme, sa propre angoisse incarnée, une réflexion.

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le samedi 8 décembre 2012