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kwakizbak #25


 
 
Tout aurait pu recommencer avec le courrier du matin.

Kwakizbak reçoit une première lettre bricolée avec des feutres de toutes les couleurs et des paillettes dont les formes suggestives sont collées n’importe où. Une admiratrice vient sans nul doute de s’adresser à lui de manière codée et ce qu’il tient dans les mains est une déclaration d’amour qui pourrait avoir la couleur sépia d’une histoire vue au cinéma. Disons un conte. Il choisit de ne rien faire.

Au bout de trois semaines il en a déjà reçu quatre mais les lettres sont de plus en plus bâclées et les mots se font plus pressants. L’urgence, la passion, le désir impérieux, impétueux, que sais-je encore ?, tout cela réuni et sans doute mille autres pensées, sentiments, émotions,..., amènent l’expéditrice à renouer avec le banal, l’ordinaire, à faire fi des chichis, des tralalas, du film qui finit bien.

Sur la cinquième lettre, comme il est question de l’emploi du temps de Kwakizbak, il se demande qui a bien pu embaucher un détective privé ; ce qui est listé est confondant. Au bas de la troisième page, à gauche, surgit une question : de la réponse, l’avenir de la personne en dépendrait, sa vie donc. Mais Kwakizbak ne sait pas répondre à ça.

– Je ne voudrais pas la blesser, me dit-il, mais le film, déjà, je ne l’ai pas aimé.

Tout aurait pu recommencer avec le courrier du matin, je l’avais espéré et l’avais souhaité si fort mais Kwakizbak n’a jamais répondu aux lettres ; tout aurait pu repartir comme avant quand il détruisait mon appartement le temps d’une orgie mais Kwakizbak a refusé d’entrer dans le jeu de l’amour ; tout aurait pu être à nouveau comme avant, comme avant, comme avant, quand je faisais semblant d’en avoir assez de ses frasques, comme avant, comme avant, comme avant, quand je ne savais plus comment je m’appelais ni où j’habitais, mais non. Kwakizbak a préféré ignorer les avances de cette jeune femme et s’est naturellement installé dans la baignoire à qui il confie désormais ses peines de cœur, sur laquelle il a d’ailleurs gravé au cutter de nombreux cœurs brisés, l’haleine toujours aussi mauvaise et les yeux injectés de sang.

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le mercredi 10 février 2010