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enfantines #13
Une famille au complet monte dans sa voiture qui déborde de congés payés, coffre et galerie fixés par des sandows bleus rayés de jaune, un beau bazar dira Nonno avant de fermer le portail, you, mais vous quittez l’enclave, sur la plage arrière vos oreillers et le Walkman à portée de main, et au bout de la nuit, la montagne, les mornes plaines, l’océan, les neiges éternelles, l’écume, d’autres animaux dans d’autres fermes, le bleu du ciel dans les yeux, et tout au bout du bout encore il faudra bien planter la tente. Don’t.
Le Tour de France passe toujours par hasard et jamais bien loin de votre campement : étape de montagne, sprint final ou contre-la-montre décisif, don’t know, c’est grand jour pour applaudir le Bibendum Michelin, les filles dans leur tee-shirt jaune, rose ou blanc à pois rouges, Yvette Horner et ceux qui distribuent sachets de cacao Banania, stylos L’Équipe, feuilles Rizla+, autocollants Tang, bonbons, casquettes, et malgré la foule, elle aussi blanche à pois rouges (le nez surtout, les épaules, les oreilles et tout ce qui dépasse du short), tu t’amuses comme un fou. De chaque côté de la route, des gens de partout mangent une salade au choix mais toujours composée sous un parasol Orangina ou Ricard et assis sur la glacière ils boivent des bières tièdes en chantant des trucs qu’on entend dans les mariages ; soudain, you don’t know, c’est le coup de feu, la caravane passe, alors ils jettent leur corps sur la route et leurs bouteilles vides dans les champs ; après tu entends que les Hollandais sont des dégueulasses, ils feraient pas ça chez eux, ou les Belges, les Allemands, pas les Français non. Les motards font coucou, leurs clignotants aussi, ils klaxonnent, derrière leurs lunettes de soleil on ne voit pas s’ils sont vivants ou morts, certains ont des gros culs, who they are. Le premier champion arrive, sa bouche est blanche et ses yeux ont reculé on dirait bien ; il y a toujours une voiture devant ou juste derrière lui et quelqu’un se penche, parle au type qui grimace et lui donne à boire ; sur la voiture d’autres vélos, la selle est retournée sur le toit, les roues tournent dans le vide. On crie, on dit bravo machin, vas-y, te laisse pas faire, c’est pas loin l’arrivée même si c’est loin, même s’il reste trois quatre cinq cols des fois encore, et si on ne connaît pas le type qui passe on regarde dans le programme, c’est quel numéro déjà, soixante-douze tu dis, et tu entends un nom étrange qui fait rire tout le monde. Puis plus rien. La débandade, plutôt. You don’t know who they are.
C’est l’heure de rentrer, de retrouver la voiture et le camping, c’est le moment où on a peur de tout. La portière s’ouvre, tu t’affales et étales ton butin sur tes cuisses mais quand tu entres dans la tente ton Walkman tout neuf avec la cassette du Top 50 a disparu. Who they are.
— Ça t’apprendra à laisser traîner tes affaires.
écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne
et dernière modification le lundi 7 mars 2011