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enfantines #9


 
 
Cours cours respire, par la bouche le nez, l’air fais-le tourner, cours cours et serre le petit caillou dans ta main gauche, le point de côté finira par passer, cours cours regarde où tu poses tes pieds, les racines sont traîtres par ici, souffle et regarde droit devant, un jour tout ça s’arrêtera, cours cours et oublie les autres devant toi qui te font la nique, les ogres qui te dépassent régulièrement en vert jaune violet, cours cours tu n’as pas d’autres choix, souffle n’oublie pas de souffler, cours foulée régulière ils disaient mais va pas te tordre la cheville, regarde devant toi un peu en bas aussi, cours cours et regarde où tes pieds se posent, tiens bon un jour tu seras grand et tu ne courras plus, cours cours dans la forêt pleine d’ogres en K-Way qui s’agitent, cours cours ne t’arrête surtout pas, ce sera pire sinon, oublie que tu es en train de tourner en rond et pense plutôt à l’eau chaude de la douche, cours cours et ne regarde pas les rivières dans le dos sous les bras les maillots trempés, cours cours et pense au rythme des chansons que tu aimes, ceux de ton Walkman, l’homme qui court pour toi, ne pense pas à l’odeur des corps en sueur ni à la puanteur que ce sera dans la voiture quand il sera l’heure de rentrer, ne pense pas à la buée sur les vitres que tu chasseras à coup de peau de chamois ni aux yeux creusés dans le rétroviseur, cours cours même si l’odeur des corps après l’effort t’est insupportable tu feras le trajet en apnée, ça tu sais faire, bien mieux que courir, l’apnée, la retenue, l’oubli du monde qui t’entoure, ta vie en apnée, tu connais déjà ça par cœur, cours cours fais tes provisions d’air pour après, cours cours et n’écoute pas les forts en gueule qui sentent la motte de terre trempée et le sexe qu’ils ne lavent pas, souffle souffle tes poumons ne vont pas sortir par ta bouche et le point de côté va passer tu verras, cours cours et dis-toi qu’à force de courir un jour tu seras loin, qu’un jour tu auras couru si longtemps et si loin que les ogres seront hors de portée, qu’ils n’existeront plus, qu’ils continueront de rouler leur sexe dans les mottes de terre pendant que toi tu auras fait une si grande provision d’air que tu pourras vivre en apnée des années sous la mer, là où personne ne viendra te chercher.

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le dimanche 16 janvier 2011