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enfantines #5


 
 
Entre les trépassés et les reliques (comme ça que c’est écrit dans un exemplaire du Grand Messager Boiteux retrouvé depuis), tu traverses l’enclave pour t’installer du côté droit de la route nationale, longue ligne droite d’un bourg-cicatrice de deux kilomètres.

Ici comme ailleurs, trouver le chemin des cris primaires n’est qu’une suite de verbes d’action : ouvrir et fermer des fenêtres, des volets, des portes, descendre les escaliers (bois et béton), longer la place par la droite, traverser le ruisseau des poissons-chats, trottiner un peu en comptant ferme-boulangerie-usine-droguerie, sauter à cloche-pied devant l’église, shooter dans un caillou trop gros (douleur), c’est là. Du monde dans la cour. Première fois : tournis. Et le pied qui cherche à sortir de la godasse.

Un petit bonhomme tout rond vient dans ta direction, joues rougies, lunettes de travers et branches scotchées : il écume. Barbe Noire l’attend au tournant, sa blouse pèse comme un couvercle. Combien des comme toi a-t-il déjà avalés ? Pas le temps de poser la question que déjà sa bouche s’ouvre, râtelier en désordre, le râle qui vient ensuite, celui de l’ours dans sa fosse, pas humain ça non. Pause générale. Sa main droite maintenant empoigne le petit bonhomme tout rond (Coluche, son surnom, j’apprendrai ça) par l’oreille, le treuille, les lunettes déjà amochées tombent, les pieds s’agitent dans le vide, un double décimètre au moins, avant de le parachuter. Oreille-rouge-feu ramasse ses binocles, Barbe Noire scanne tout ce qui grosso modo mesure un mètre vingt, s’arrête sur toi et te fait signe, index qui s’agite, de venir vers lui. Tu regrettes soudain d’avoir maté les fesses de ta maîtresse maternelle, tic-tac tic-tac, dans leur velours vert. Sûrement qu’il voit tout sait tout çui-là, et qu’il va te faire le coup de la grue devant tout le monde. Tu voudrais fermer les yeux, retourner dans la ville blanche, manger des brochettes ou écouter les chameaux mâcher remâcher, tourner la langue sept fois au moins dans leur gueule avant de bâiller mais tu es tétanisé.

Barbe Noire t’explique le pourquoi des oreilles plus grandes. J’aime être écouté, il dit. Puis : Allez, en rang deux par deux, et en silence. Tous les indiens en captivité s’exécutent tandis qu’Oreille-rouge-feu, Oliver Hardy en plus jeune (mimiques encore dans le dos de ton maître primaire) te saisit le bras : tu veux bien devenir mon messager ?

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le dimanche 17 octobre 2010