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enfantines #3


 
 
Il y a des vrais gens qui habitent là-dedans ?

Ta maîtresse te répond qu’avant oui, latourdebabel on dit qu’elle était habitée, il y a longtemps de ça, c’est dans labible tu sais, tu ne connais pas cette histoire ? moi non plus pas bien elle dit encore et puis dans ce pays je ne suis jamais allée, alors la tour elle ne sait pas si elle est toujours là mais elle pense quand même que non.

Elle demande si quelqu’un connaît labible. Plus de la moitié de la classe main en l’air, des fois les deux, à cause du curé qui fait le caté à la sortie de l’école avec ses tracts à faire signer par les ogres.

Tu ne veux pas aller chez le curé parce qu’il a dit que ton papy était au ciel alors qu’il est dans une boîte en bois au cimetière, au fond d’un trou avec la terre le carrelage la photo par-dessus. Et même qu’il y a des fleurs pourries sèches tombées en plastique et que ta mamie prend toujours un chiffon avec elle car on ne sait jamais dans quel état on va retrouver la maison de papy.

Ta maîtresse aimerait que tu te taises maintenant, Je vais te retirer ton image si tu continues. Mais toi tu n’écoutes pas ta maîtresse, tu prétends que le ciel est fait pour les oiseaux, à la rigueur pour les avions, comme dans la mer il y a les poissons volants pas volants argentés, les bateaux et tutti quanti, que toi tu en as vu plein des poissons de toutes les couleurs de l’autre côté du détroit, là où il y a ton vrai corps, alors les histoires de labible tu trouves que c’est vraiment du pipi de chat à côté de la tienne.

Le châtiment menace l’homme vaniteux qui veut dépasser sa condition, te dit le papa de la meilleure élève de la classe qui n’a pas eu d’image de la tourdebabel aujourd’hui. Après la grille le parking le potager, pas loin de l’église, il te tient par le bras, ça ne fait pas mal mais maintenant le tee-shirt est tout détendu d’un côté.

Tu lui demandes de répéter plusieurs fois ce que tu n’as pas compris, avec des s’il-vous-plaît merci monsieur, et ça fait plaisir à sa fille qui tire les fils de sa jupe d’entendre son père prononcer chaque mot, lentement, les uns derrière les autres, en articulant bien bouche ouverte plombages boutons blancs sur la langue mais toi, maintenant que tu es à nouveau dans ta chambre ton lit tes draps, à cause de ça peut-être, du désordre de la journée, tu ne parviens toujours pas à t’endormir.

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le lundi 4 octobre 2010